You’re in the painting you saw
Joseph Nothing ne m’est pas inconnu, tout en n’ayant jamais eu l’occasion de plonger dans ses disques. Tatsuda Yoshida est un des seuls (le seul ?) Japonais a avoir été signé sur Planet-Mu, et les aficionados du label anglais se souviennent peut être très bel artwork ornant son Dreamland Idle Orchestra sorti en 2001. Mais depuis presque 9 ans, et deux albums sur sur Mu, plus vraiment de nouvelles. Bref, je loupe le coche, ses disques édités par Paradinas deviennent trop rares, et l’on oublie. Étonnamment, j’ai par contre pas mal écouté son autre projet Rom=Pari, sans savoir que le même homme en tirait les ficelles.
Bref, ce japonais passé maitre dans la déconstruction de musique classique, le charcutage de samples et l’échafaudage de fresques electronica à faire bander les morts (paraît-il ) avait sorti un album il y a trois ans, Shambhala Number One, disponible qu’au japon, mais faisant frissonner la toile, les amateurs du japonais étant conséquents après ses galettes livrées sur Mu. Bon perso, je suis toujours dans les choux, jusqu’au mois dernier en fait, où l’on m’a fortement conseillé de jeter un oeil au bonhomme, un nouvel album étant sur les rails, le bien nommé Shambhala Number Two & Three.
Bon alors, attention l’hallucination, mark my words, je ne me souviens pas d’avoir vu un packaging de la sorte. Il faut savoir que le disque est double, et que derrière cet artwork qui fleur bon le chanvre ne se cache pas un groupe de rock japonais psychédélique à la Boredoms, mais bien un type balançant de l’electronica étherée. (En passant, pour rendre la drogue inutile dans le monde entier : Faire une fresque avec les covers les plus flinguées du rock psyché jap. Effet garanti)
Bref, apres avoir enlevé le fourreau de luxe, on ne peut que laisser échapper des “Oooh” et des “aaaah”, car le digipack se déplie de tous les cotés, comme un origami en pleine puberté, laissant découvir deux disques bien facétieux, et pleins de couleurs. Bref, cela ne sert à rien, c’est même presque embêtant si l’on est du genre gros bourrin ouvrant ses disques en poussant des cris gutturaux (ça existe), mais ça reste drôlement cool.
Deux disques, car Joseph Nothing nous sert un album en deux volumes, ou plutôt deux albums bien différents, aux atmosphères complètement opposées. Et autant l’avouer tout de suite, si le disque “Number Three” tend clairement vers la collection de beat gonflante, le “Number Two” risque lui de marquer dur les tympans d’amateurs de musique délicate violentée par de méchants rythmes volubiles.
En écoutant le premier titre, Xembala on peut aisément deviner ce que Joseph Nothing aime torturer : cordes et samples de musique classique, violons chialant en boucle, mélodie lacrymale et/ou candide, littéralement défoncée par des rythmes pachydermiques. Ces derniers, qu’ils soient issus d’une rythme-box ou d’une batterie samplée puis re-séquencée, sont toujours ronds, pas forcement violents, mais ultra appuyés et balancés en mode breakbeat. Bref, le concerto mélancolique s’en prend plein la gueule, martyrisé par un batteur fou, le tout zébré de scratchs épileptiques et autres bizarreries vocales saturées. La mélodie de base s’envolera vite dans les nuages à l’aide d’un synthé secondant parfaitement les cordes. On le sait, on le devine, on vient de plonger dans un disque faisant côtoyer beauté/chaos, un schéma qui, quand il est bien exécuté, peut accoucher de vrais bijoux.
A dire vrai, la musique de Joseph Nothing, sur ce Shambhala number two, se construit quasi-exclusivement sur ce postulat de départ : Je prends un sample déballant une mélodie drôlement belle, et je la défonce comme un enfoiré. Et si, ici, la maitrise rythmique est clairement indiscutable, c’est dans le choix des samples composant le squelette des morceaux que le Japonais se démarque.
Et dans ce petit jeu là, le plus marquant est surement The Roswell Incident. Apres une intro Drill’n bass solo de batterie cocaïne, Joseph Nothing sample carrément My Bloody Valentine. Mur de guitare reconnaissable entre mille, litanie brumeuse, le japonais sort la grosse artillerie, et superpose le tout avec ses propres grésillements shoegaze, et surtout un rythme complètement taré, cavalcade folle furieuse, sublime à entendre. Le titre n’arrete pas de s’envoler, ça part dans tous les sens mais en même temps tu as envie de chialer tellement c’est beau. Tu as toujours revé d’entendre un morceau de “Shoegaze-Drill’n-break”, Joseph l’a fait. Sérieusement, à la première écoute, j’en étais bloqué dans le métro, à presque en louper ma station. Attention, cela reste très sobre dans les grandes lignes : Un rythme éxplosé / un mur de gratte shoegaze point barre. Faut pas s’attendre à du Goldie. Mais bordel, ne serait-ce que d’entendre le rythme ultra massif débouler juste après l’arrivé du sample, c’est à se chier dessus.
Autre petit éblouissement à l’écoute de Out Of Place Artifacts/Ley Lines, qui sample lui la superbe intro orchestrale du Manic Expressive Enter de Her Space Holiday (hasard, j’en ai parlé il y a mois). Ce choix peut d’ailleurs s’expliquer par le fait que Jospeh Nothing et Marc “Space Holiday” Bianchi ont formé un projet commun, The Heartbreak Moment (Je ne le savais pas non plus, on en apprend tous les jours. Mais mine de rien, savoir Jospeh Nothing et Her Space Holiday ensemble sur un disque, ça ne peut que me faire briller les pupilles). Bref, encore une fois, violons en cascade, enrichit de choeurs discrets, le tout démonté par une batterie syncopé et bugs informatiques crado-noisy. On se roule mentalement dans les herbes hautes, tout est normal.
Bref, la recette est déroulée sans accroc sur les deux tiers du disque, débouchant sur des morceaux superbes (Ahnenerbe, proche du breabeat noisy, avec avalanches de samples, mais toujours supplanté d’un violon à se damner), parfois plus calmes (Agharta/Pyramid/Oparts, très belle balade au tempo plus reposé) et très rarement, un peu moins pertinent (le moyen Nordisk Mitologi, abstract hiphop mutant graduellement vers un générique façon vieu film… Peut être le seul sample qui ne touche pas réellement sur le disque). On se prendra aussi un énorme coup dans la gueule avec Utsuro Bune et son beat ultra rond et puissant, tentant d’écraser choeurs élégiaques et cordes en mode larmichettes.
L’autre facette importante du disque Two, c’est quand le Japonais abandonne les violons pour partir sur quelque chose de plus électronique, plus aérien, se rattachant alors clairement à Boards Of Canada. L’intro de Yarlung Zangbo Grand Canyon semble même toute droit sorti d’un disque du mythique groupe anglais. Certe, le lien et la ressemblance est forte, mais le morceau s’en sort drôlement bien, partant sur des synthés retro planants, vraiment beaux et maitrisés. D’autant plus que notre musicien du jour semble être épris de rythmes concassés, et continue de saupoudrer ses errances synthétiques avec les mêmes cavalcades rythmique et quelques touches d’humour (ok, sur ce titre, le gars fait du breakbeat avec un… bébé ?!?). Sur sa conclusion, le morceau va partir dans une ascension typiquement BOC, mais superbement branlée. Un vrai petit diamant.
Même divagation apaisante avec A Journey Into The Hollow Earth, bien que plus arrachée que son confrère, le placide clavier se prenant une belle drum’n bass dans la gueule. Avec toutes ces belles réussîtes, on oubliera la seule faute de gout du disque, An Enormous Delta, une espèce de divagation indienne-breakbeat qui fais franchement tache au milieu du disque, même si le dernier tiers du morceau part dans un ambiant plutôt sympathique.
Ce Shambala Number Two se finira sur ce qui est le morceau le plus expérimental de la galette, The Entrance, amoncellement de bruissements métalliques, presque flippants, qui grattent dans les tympans. La profondeur sonore est impressionnante, on se croirait presque au milieu d’une cave, plongé dans le noir, avec un monstre enchainé qui tente de nous chopper les cuisses en grognant de frustration. Bon, le morceau n’aurait pas grand intérêt si une mélodie à s’arracher la colonne vertébrale tellement qu’elle est belle ne débarquait sans prevenir. Ce violon lancinant, loin de nous rassurer, sublime le coté “mise à mort” du morceau. On est piégé, dans les pattes d’une créature reniflant et secouant ses chaines, pendant qu’un violoniste nous accorde une dernière sérénade. Le tout finissant sur une longue échappée Noisy-Drone, histoire de bien te faire comprendre que tu vas te faire bouffer. Merci Joseph, on vient d’avoir le morceau parfait à passer en pleine nuit pour voir tout le monde se mettre à pleurer en cherchant hystériquement son doudou.
Bon, ça c’est pour le Shambhala Number Two. Pour ce qui est du Shambhala Number Three, deuxieme disque, on va aller très vite : C’est pas très folichon. Cela semble à un disque bonus plus qu’autre chose, dans les titres (Yap Pure Land part 1, part2, part 3 etc etc…) comme dans les sonorités. Attention, c’est pas mauvais, et même plutôt bien foutu, mais apres la foisonnance et la beauté du disque d’avant, cette galette “bonus” fait très aride, un peu collection de beat. Certains titres sont plaisant à écouter (Part02 notamment, abstract rêche mais entrainant, ou Part07, petit vignette ambiant-clochette) mais le reste est vraiment dans le genre “bon les ptits loups, je vous file des rythmiques, vous vous occuperez des synthés vous même, je n’ai pas que ça à foutre”.
Il est donc complètement logique d’axer sa conclusion sur le disque Shambala Number Two, superbe album d’elecronica-drill-décorticage de samples. A dire vrai, le Japonais semble bien être le premier cette année à m’avoir touché avec un disque du genre. J’avais presque peur d’avoir perdu la flamme, en faisant la moue devant des disques considérés par certains comme des futurs classiques. Mais nop, ce n’était qu’une pause, ce Shambala Number Two, avec ses violons écrasés par des rythmiques folles m’enchante, et me donne envie, enfin, de me replonger dans des territoires violemment accidentés.
Car la qualité du Japonais n’est pas de tout déconstruire en pilotage automatique, mais bien de choisir avec grande pertinence des boucles et mélodies sublimes, parfaites pour se faire dézinguer par une batterie en mode mitraillette. A quasiment chaque entame, on croirait entendre le sample de corde parfait pour la situation. Jamais larmoyant, jamais pompeux, jamais grandiloquent. C’est juste candido-mélancolique, tout en retenue, ça avance par petits pas, sans faire de vague, s’immisçant tranquillement dans votre cortex. Attention néanmoins pour ceux qui possèderait le Number One sorti il y a 3 ans, il paraît que le japonais y reprend quelques mélodies pour ce nouvel opus.
Certes, le tout reste assez frustre, point de cathédrale ici bas, on assiste souvent à une construction simple, avec boucle mélodique + rythmique. A dire vrai, j’ai même eu un peu de mal sur les premières écoutes, avant de basculer complètement dans le disque, jusqu’à en devenir dingue. Le bonhomme fait aussi parfois fortement penser à Boards Of Canada (flagrant sur Yarlung Zangbo Grand Canyon, ou les petits interludes) mais s’en sort toujours avec les honneurs. Et surtout évite le plagiat en matraquant drôlement ses litanies, sortant du carcan pépère façonné par duo anglais. D’autant plus que le japonais balance quelques titres presque cultes (Je ne me remettrais pas du The Roswell Incident). Je vais d’ailleurs vite me pencher sur ce qu’a fait le musicien auparavant.
Bref, sur ce Shambhala Number Two & Three, on laisse tomber la galette Three, vague bonus un peu inutile, pour se concentrer sur ce splendide album qu’est ce Shambhala Number Two, aux mélodies superbement choisies et souvent surplombées d’un métronome schizophrène. A écouter bien fort, ou au casque. Joseph Nothing n’hésite pas à nous planter là tête bien haut dans les nuages, pour mieux nous étriper le corps à coup de rythmiques.
Une belle réussite.
Joseph Nothing – Xembala
13 Titres + 8 Titres – Third Ear Records
Dat’