Liquid Words
Le marketing viral existe bien. Tout commence par une pochette bizarre, en noir et blanc, qui apparaît ici et là, sur internet. Bardé d’un énigmatique Fever Ray, la chose ressemblerait presque plus à une compilation Kill The Dj. On parle d’un disque qui s’annonce très beau, bizarre, cosmique. Ecrasé par l’aura du dernier Animal Collective, on met cela de coté, en promettant de s’y pencher rapidement. Un premier extrait sort sur le net, hypnotique, sombre. Un clip suit juste après, fascinant, à ne pas regarder la nuit avec son petit cousin sous peine de le traumatiser pour un an. Et un remix de Fuck Buttons, qui transforme l’incantation en cavalcade épique, à filer le vertige. Le disque est alors dispo en digital, mais impossible d’avoir une information pour une sortie physique. On se dit que l’on va attendre tranquillement, mais voila que le deuxième clip déboule, When I grow up, aux images sublimes, faisant office de bombe en pleine gueule.
La toxicomanie musicale ne se fait pas attendre, on commence à vouloir écouter le truc à tout prix, l’impossibilité d’avoir des infos sur la sortie physique fait le reste (sauf qu’au final le disque sort le 23 mars…), on passe à la caisse et on plonge dans ce disque direct from suède.

Une ligne sourde, grave, grondante. Une basse écrasée, hypnotique, comme une machine tournant à vide, sans raison, seule au milieu d’un désert. Le disque débute avec l’énigmatique If I Had A Heart, exacerbé par cette voix spectrale, caverneuse et buggée. Le chant, émanant de miss Karin Dreijer Andersson, la voix du duo électro suédois The Knife (que je ne connais pas vraiment, mais l’erreur va être réparée) est constamment modifié, tirant plus vers la voix d’homme sous calmant que de celle d’une joyeuse nymphette, tout en donnant un effet de choeur. Le titre se déroule avec une fausse linéarité dérangeante. Et c’est quand le chant deviendra féminin, dénué de tout effet, que la mêlasse noisy slow-motionnée laissera perler une ouverture salvatrice, un petit rayon de soleil au milieu de l’usine. Mais genre soleil d’un coin perdu du nord de suède hein, le rayon blanc super froid qui se reflète sur des étendues de neiges hostiles et inhabitées, tentant de ranimer vainement les marmottes déjà cramés par les flocons. A dire vrai, le morceau, extrêmement sombre, beau et prenant, est assez atypique à coté d’autres compositions plus éclairées et tribales de l’album.
L’un des meilleurs représentants de la description ci dessus se pointera juste après, foutant la première grosse raclée de la galette (en plus de se présenter sur le net avec un clip de folie, tout comme le premier morceau). When I Grow Up, parcouru de percussions sourdes et de nappes éthérée, peut se prévaloir de contenir le meilleur handclap introductif de l’année 2009, claquant dans nos oreilles tel un fusil. La première attaque vocale fait très Animal Collective, la voix est presque normale, on navigue dans un délire pop-tribal en suspension enveloppé par un rythme façon transe au ralenti. Comme dans la vidéo, l’envie de nous démantibuler comme la fille prend rapidement, laissant notre corps aux mouvements saccadés pour épouser le métronome. You’ve got cucumbers on your eyes / Too much time spent on nothing / Waiting for a moment to arise / The face in the ceiling and arms too long / I wait for him to catch me. Le délire drogué claudique, nous enfume, nous enivre, avant de basculer sur une montée de synthés bien classe, cristallinne, histoire d’aller titiller les nuages après l’incantation. Grosse ascension électro, le panard absolu, superbe.
Dry & Dusty va nous permettre de faire une mini comparaison : Avec Gang Gang Dance. Celui de la période God’s Money tout du moins. Fever Ray tente aussi de construire des cathédrales electro-pop avec une manne de psychotropes tribalo-experimentaux. Comme les compos des autres zozos, c’est super touffu, riche, presque autiste, pour exploser sans crier gare dans une fulgurance pop angélique à fracasser l’échine en dix. Sur ce morceau, une montée affolante, à dresser les cheveux, avec un chant qui va tutoyer les cieux se retrouve coincé entre deux phases blafardes et embuées. Le basculement est jouissif, à crever. Pour rassurer les allergiques de Gang Gang Dance, Fever Ray ne s’éprend jamais de cette folie hystérique qui caractérise les New- yorkais. Pas de cris incontrôlés, pas d’escapades bruitistes, peu de rythmes escarpés. Ici tout est passé au ralenti, tout est posé, on ne se déparait jamais du brouillard opiacé flottant dans nos oreilles. La voix est douce, apaisée, apaisante.
Minnie Mouse a arrêté le crack, et tape maintenant dans la morphine
C’est Seven qui s’écartera un peu de la torpeur maculée de synthés des 3 premiers morceaux avec des beats tribaux beaucoup plus prononcés. Le tout est presque naïf, sautillant, avant que le refrain emporte encore tout sous son aile, avec une voix magnifiée par les claviers et les échos, genre on-chante-au-sommet-d’une-montagne-le-vent-dans-le-dos-et-juste-en-tee-shirt-mais-sans-avoir-froid façon Cliffhanger. A tomber. Le titre va encore une fois partir dans un délire de nappes mi-cheap mi-ecclésiastiques et on se tape sa petite extase réglementaire. We Talk About Even comme le dit si bien la chanteuse.
A partir de là, le disque va s’enfoncer dans un écrin beaucoup plus opaque, sur 3 morceaux peuplés de percus tribales, d’échos lancinants, de déformations nauséeuses et de sonorités un peu plus world. On a quitté la terre ferme pour voyager au fin fond de jungles mentales défoncées, flirtant même avec le bad trip, comme dans Concrete Walls, balade viciée et nauséeuse pleine de convulsions passées au ralenti.
Fever Ray renouera avec l’épique grâce au sublime (mais vraiment) I’m not done monument qui nous envoie directement sur la lune, la bave au lèvres, le cerveau retourné et les ailes dans le cul. Tout prend de l’ampleur avec minutie, les synthés s’envolent, les rythmes s’emballent, et la voix tord les tripes. Les choeurs fragiles qui déboulent dans le derniers tiers du morceau me dérouillent la gueule, paralysie, c’est trop beau. Le morceau n’est qu’une escalade, une progression vers l’absolu avant que le tout meure sur un lit de cordes. Simple mais parfaitement menée. Sûrement le meilleur essai du disque.
Keep The Streets Empty For Me en prendra le contre-pied, avec un nouvel exorcisme apaisé autour du feu, pour laisser sa place au plus long titre de ce Fever Ray, Coconut longue escapade électronique de 7 minutes. Les beats sont secs, sombres, et accueillent une mélodie limpide et cristalline. Pas de chant sur la première moitié, juste une longue intro façon electronica Warpienne qui flingue tout notion de temps. On ferme les yeux, on se laisse assaillir par le tout, avant que des choeurs superbement amenés emplissent l’espace, prennent de l’ampleur, saturent pour mieux nous caresser ensuite. Le temple chante sur des steppes Idm sous une voûte étoilée, ça tronçonne ce qu’il nous reste de colonne, on tombe dans un gouffre infini, le temps s’immobilise, hypnotique.
Tout en s’inscrivant dans cette tendance tribalo-pop-electro-droguée qui a le vent en poupe ces temps ci, Fever Ray se démarque de ses camarades en ayant une approche plus posée, plus hypnotique, plus sépulcrale. Pas hystériques pour un sou, mais toujours enlevés et expérimentaux, les morceaux de Karin Dreijer se complaisent dans une slow-motion qui sublime les mélodies et la voix, tout en insistant sur le coté viscéral des rythmes. Ceux de When I Grow Up claquent dans le tréfonds de notre cortex avant de faire vibrer nos tympans. Ils font fourmiller les articulations avant que le cerveau ait donné l’ordre de tressauter. Les mélodies et constructions sont souvent très pop, jamais noyées comme chez beaucoup de confrère, et souvent portées au firmament grâce à des synthés de folie (I’m not done, Dry & Dusty, Seven…)
Alors évidemment, cet album de Fever Ray pourra agacer à cause de son coté electro-tribalo-camé, surtout que ce dernier se retrouve moins escarpé et excité que de coutume. Ou à cause de l’accent bizarre de la chanteuse, à base de explanationeuuuuhh et de I have a missionnneuuuuuh. Mais le tout est tellement maîtrisé et hypnotique que la mandale est presque inévitable pour les amateurs du genre. Les autres s’intéresseront au moins aux vidéos illustrant deux morceaux du disque, composées d’images sublimes. La grande classe. Déjà dispo en digital, et dans prévu dans les magasins le 23 Mars.
J’ai l’impression de me répéter en cet impressionnant début d’année, après des perles comme le Animal Collective ou le Circlesquare, mais j’ai encore envie d’aligner un “grand disque” pour conclure ce texte. Je vais faire l’effort d’éviter ça, et donc soutenir simplement que la plupart des morceaux de l’album sont monstrueux, frôlant le sublime. Grosse claque.
10 Titres – Rabid Record
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