Total Annihilation
Marrant. J’aurais mis mon bras à couper que la prochaine sortie de Clark serait une captation de ses lives inhumains. Car tous ceux qui ont vu l’anglais en live sont d’accord pour dire que l’expérience est légèrement traumatisante, l’écrasement sonore déjà ressenti sur CD étant décuplé en concert. L’annonce d’une compilation de remixes aurait pu provoquer l’ire populaire, d’autant plus que le dernier album de l’artiste, Iradelphic, fut une semi-déception, détonant dans une carrière musicale absolument sans faute.
Sauf que ceux qui ont laissés traînés leurs esgourdes sur les remixes de Clark au cours de ces dernières années savent que certaines de ses meilleurs morceaux en font parti. Que le bonhomme met sa science de la destruction pleine d’affection aux services des autres groupes, qu’ils soient issus de la plus obscure frange de l’Idm, ou bien en vue du rock indie. Bref, une introduction un peu chiante, que l’on va conclure de façon alléchante : tu étais tristoune de te retrouver avec un album planplan il y a 1 an, et les déflagrations émo-pop-electronicapocalyptiques de Clark te manquaient ? En ce moment, tu as envie de te jeter contre les murs de ton appartement à hurler car tu écoutes un truc trop beau ? Clark et Warp viennent de te rendre un sacré service avec Feast / Beast.
La pochette est chelou ? Certes. Le tracklisting est impressionnant ? Tout à fait. Oui, car toi aussi tu sais que les remixes de Clark sont incroyables, mais que d’arpenter youtube ou beatport pour en récupérer une bonne partie, c’est usant.
Feast / Beast se décompose de façon pertinente, deux parties distinctes, Feast regroupant les fresques les plus calmes de Clark, et Beast s’occupant de déchaîner les enfers. Alors forcément, comme toute bonne compilation qui se respecte, un joli pourcentage des morceaux ici présents sont dispensables. 30 morceaux, c’est beaucoup, vraiment, et une sélection s’impose si l’on ne veut pas mourir d’overdose. On peut se demander si Warp n’a pas voulu trop en faire, oubliant que l’exhaustivité peut tuer l’impact :
Le Kitchen Sink d’Amon Tobin sonne désormais bien daté, même si toujours agréable. Certains remixes n’offrent que peu d’intérêt, même si le travail sur les textures est souvent intéressant (Sea de Vampillia bien mieux retouché par U-ziq, Evil Beast bien trop court, Siberian Hooty juste sauvé par son finish, Bender assez générique…). Certains choix sont étranges, mais pas désagréables, comme la présence des deux remixes de Clark par Bibio, qui transforme l’implacable Ted en jolie fresque fragile. On peut pinailler sur le Sun Of Tempers Bear Paw Kicks Version qui reprend la track originale, en rajoutant juste une intro plus funky. Son auto-remix d’ Absence, en mode trance mélancolique est par contre superbe. Et l’on n’évite pas non plus les quelques remixes ratés, vraiment ratés, ceux qui torpillent l’original, ou n’offrent aucune plus value (La relecture de Milanese est fatigante comme jamais, celle du Freestate de Depeche Mode est rébarbative et banale)
Mais mais mais. Il faut être positif dans la vie. Parce que ce Beast / Feast contient des putains de diamants, des morceaux invraisemblables, des ogives permettant de retourner n’importe quel cœur / dancefloor :
J’avais déjà parlé du Glow de Kuedo par Clark, je ne vais pas me répéter. Mais bordel, putain, cette conclusion de morceau, ce rythme pachydermique, cette mélodie incroyable, tu sens que c’est la fin du monde, le règne des morts, la marche funèbre des robots géants qui écrabouilles les immeubles et détruisent tout ce qui bouge. Barrissements d’éléphants androïdes, vaisseaux qui atterrissent en créant des cratères. On n’avait pas entendu une métaphore sonore d’une machine qui prend vie aussi réussie depuis le Stone Pills de Raoul Sinier. La longue fresque mélancolique Spur, de Barker and Baumecker, en fera chialer plus d’un.
On touche au sublime avec la relecture du Fentiger de Nathan Fake, qui invoque les forces de l’electronica cristalline, avec un début de morceau ressemblant étonnamment à certaines divagations de Plaid pour la BO d’Amer Béton. C’est beau à t’en faire dresser les cheveux, rêve cotonneux, beat claudiquant. Mais avec Clark, l’autodestruction n’est jamais loin, et le morceau se brise pile en son milieu, pour se faire violer l’âme par un terroriste déprimé, à coup d’explosions contenues et synthés tire-larmes. Complètement fou.
L’anglais semble sortir un inédit dont ne sait ou, Alice (je ne me souviens pas d’avoir entendu ce morceau auparavant), et nous sort du Chris Clark pur jus, avec des claviers beaux comme la nuit, qui s’enroulent à n’en plus finir en sanglotant la pureté même. Sincèrement, comment ne pas tomber amoureux du dernier tiers, longue montée vers le paradis, avec voix d’ange et mélodie tubesque qui se nécrose lentement. Peter de Nils Frahm nous relancera dans la période plus psychédélique de Clark, façon Empty The Bones Of You, pour un tunnel drogué complètement dingue, à flinguer les viscères et casser les colonnes. Je ne connaissais pas l’original, je vais aller écouter ça de ce pas.
Et si tu veux VRAIMENT pleurer comme une madeleine, tu as un remix du Let’s Go de Rone, lui aussi assez bien loti pour faire pleurer dans les chaumières. Clark transforme le tube hiphop synthétique du français en longue complainte élégiaque, avec les Antipop Consortium qui se débattent dans des nappes folles, belles à tomber, filant le vertige. La track n’en fini pas de monter, c’est très rapidement épique, affolant de richesse, puis tout s’éteint. Plus de rap, plus d’énergie, on se laisse attirer, étouffé par une mélodie qui n’en finit plus de se démultiplier, de partir dans les échos, de fracasser les planètes. En écoutant ce morceau, j’ai envie de dériver dans l’espace, de me laisser porter par les étoiles, au ralenti, en crevant à petit feu par manque d’oxygène, alors que des connards hurlent dans le micro qu’ils ne peuvent plus rien faire pour moi. Cela ferait un bon scénario de film.
Mais vu qu’à force de chialer en ce moment, avec tous ces disques émo, j’ai choppé une conjonctivite, il serait de bon ton, parfois, d’écouter de la musique qui balance la sauce violemment, histoire d’avoir envie de tabasser des gens au hasard dans la rue en convulsant comme un malade mental. C’est ce que nous propose Beast.
Le Red Light de Massive Attack, qui n’est jamais sorti officiellement, b-side d’Heligo Land, se transforme en tube techno autiste, façon rouleau compresseur écrasant tous les danseurs d’une soirée trance. Nathan Fake s’attaque au Growls Garden de Clark, et transforme l’hymne pop hystérique en techno de cathédrale détruite, laissant de coté tous les éléments catchy du titre de base pour partir dans un délire hypnotique drogué, décontenançant au premier abord, mais foutrement jouissif au final. Les soubresauts qui décalent le rythme sont surprenants, on est en constance insécurité pendant 7 minutes, comme si le dancefloor allait se dérober sous nos pieds à tout moment, et nous entraîner dans une chute sans fin, un vrai tour de force. Parfait pour danser nu dans une cave de Berlin avec plein de drogues dans les veines.
Le coté house sexy de Letherette est complètement disséqué par Clark, pour transformer D&T en parade cauchemardesque, façon Ça le clown qui déboule dans la nuit pour te bouffer le bide. Horrible, mais assez fascinant. Clark arrive même à rendre Aufgang intéressant via Dulceria, génial craquage techno débile qui va se nécroser sans prévenir en ambiant lunaire.
Mais les 3 remixes les plus dingues de Beast, ceux qui ravagent tous sur leurs passages, c’est les tracks les plus pop. Ces remixes, c’est la violence, la déraison. Battles et Gary Numan deviennent méconnaissables sur My Machines, abasourdis par la charge déchainée de Clark. Le chanteur mythique semble perdu, dépressif dans ce maelstrom indescriptible, à gueuler des My Machiiiiines entre deux immeubles qui lui tombent sur la gueule. La conclusion, avec ces cordes géniales, et cette explosion camée, est ébouriffante. Le morceau original ? Mec, après avoir écouté ça, il n’existe plus.
Alors, sinon, Clark remix le tube ultime de Health, Die Slow, groupe labellisé camisole de force. Dieu sait que j’aime la track originale, parfait tube pute-métal-noise. Mais Clark transforme le truc en délire techno-pop-pachydermique, bigger than life, avec mélodie imparable et rythme de folie. A 1min50, quand le morceau entame réellement son assaut, quand tout déboule et te roule dessus, c’est l’orgasme. Le chanteur d’Health est là aussi complément paumé dans ce bordel, avant de se laisser aller à quelques élucubrations sataniques, ouverture à un vrai attentat émotionnel. Ce morceau me fait dire que j’aimerai entendre Clark remixer Marylin Manson. Si si. Sinon c’est magnifique, c’est bourrin comme jamais, c’est la charge finale, héroïque, avec soldats tombants sous les balles en hurlant leurs mères. Si mon chat n’était pas aussi beau, je lui aurais ouvert le ventre pour dessiner un pentagramme dans mon salon, avant de me jeter par la fenêtre en étant convaincu que je peux voler.
Pour finir, surement le remix le plus épique de toute la carrière de Clark, c’est le Let’s Get Clinical de Maximo Park. Là non plus, plus grand chose à voir avec l’original, on écoute surtout un Chris Clark qui a envie d’invoquer le grand Chtulhu, de soulever la colère de dieu sur nos oreilles, de faire passer Pacific Rim pour un film d’auteur avec Jean-Pierre Bacri. Il faut que je le dise, ce morceau, j’ai du l’écouter 300 fois dans ma vie. Alors bon, je ne suis plus très objectif. Mais quand j’entends le début, avec ce synthé complètement psychotique, ces voix gutturales, ce rythme absolument ahurissant, et bien j’ai envie de hurler. De baver, de me prendre pour un chanteur de métal, d’égorger des agneaux, d’écouter les météorites détruire la mégalopole. Ce morceau, c’est télescoper Armin Van buuren faire une cover du Ordo Ad Chao de Mayhem. C’est le monstre foule, celui qui parasite ta vie, se nécroser, se retrouver en boule, et s’immiscer en toi par tous les pores de ta peau. Quand j’écoute ce morceau, j’ai envie de casser la ville. De devenir cannibale. De me transformer en monstre, d’arracher ma peau, d’enculer le monde. De sauter comme un damné, de hurler, de taper mes murs jusqu’à voir mes os repeindre mon champ de vision. Parce que c’est beau. Let’s Get Clinical est la plus implacable, la plus massive des créatures remixées par Clark.
Alors forcément, on peut se dire que 2h20 de musique, c’est beaucoup. 30 morceaux aussi. La sélection est parfois étrange, le premier disque ayant d’ailleurs du mal à démarrer, et certains tracks manquent (Où est le beau remix du Til The days Falls du groupe lyonnais Para-lel ?). On peut déceler quelques tics de productions de Clark, qui reviennent assez fréquemment dans les remixes, là où l’artiste les disséminaient plus discrètement dans un album (certaines cassures, les outro ambiant-émo, les effets nécroses…).
Mais écouter ce Feast / Beast, c’est aussi se rendre compte de la principale force de Clark : ce mec pond des compositions d’une force folle, d’un point de vu strictement technique, mais aussi d’une puissance émotionnelle dingue. Feast / Beast donne l’impression de se faire agresser au marteau en plein climax orgasmique.Tu peux tomber sur un morceau hystérique (Let’s Get Clinical par exemple), quasi-terroriste en terme de volume, mais qui t’arrache le cœur avec ses mélodies. Et c’est souvent ce qui fait la réussite d’un morceau de Clark, qu’il soit calme (The Autumn Crush, Night Knuckles, Talis…) ou ultra énervé (New Year Storm, Growls Garden, Rainbow Voodoo…) : ses tracks ont un relief absolument fou, à filer la frousse, le vertige. Clark est toujours aussi fort pour faire de la musique en 3D, et tient toujours fermement à son statut du James Cameron de l’electronica.
Clark n’a pas son pareil pour tabasser les sens, écraser les esgourdes et voler les âmes même si Feast / Beast est trop complet pour être une tuerie à 100%. Reste qu’en faisant sagement une sélection des 15 meilleurs morceaux de cette compilation, on peut se créer un album qui enterre dix fois Iradelphic.
Faire une sélection séparant la mélancolie (Feast) de la violence (Beast) est extrêmement pertinent au premier abord, afin de donner une ligne directrice au disque. Mais au final, tout est bien moins manichéen que cela, car en écoutant cette compilation, une évidence frappe : dans chaque morceau de Clark, ces deux données se mélangent, se télescopent, copulent à n’en plus finir. Quand Clark se surprend à avoir des accès de violence, c’est pour mieux nous faire chialer au final. Et quand il semble jouer de teintes et mélodies ouatées, c’est toujours dans une optique de destruction sourde, d’annihilation totale. Clark a toujours fait cohabité chaos et pureté, démence et caresses, filles nues et lettre de ruptures, stroboscopes et dépression.
Deux visions séparées sur le papier dans Feast / Beast mais constamment réunies à l’écoute du projet, dans chaque note, chaque synthé, chaque soubresaut. Jusqu’à étouffement. Indispensable.
Clark / Maximo Park – Let’s Get clinical
Clark / Nathan Fake – Fentiger
Clark / Health – Die Slow
Clark / Rone – Let’s Go
30 titres / Warp – Beat Records
Dat’
This entry was posted on Wednesday, September 18th, 2013 at 12:37 am and is filed under Chroniques. You can follow any responses to this entry through the RSS 2.0 feed. You can leave a response, or trackback from your own site.
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Nils Frahm c’est très bien! (pour tout amateur de piano et de musique minimaliste-classique-electronica un peu aussi… L’album Felt est à conseiller vivement)
Et merci pour cette nouvelle chronique, je ne connais que peu de choses en musique électronique, c’est un excellent blog pour ma culture générale de ce côté là! (et je suis dingue de ta prose si j’ose me permettre ce genre de familiarité)!
J’ai beaucoup apprécié le fait qu’il remix Fentiger, j’étais déjà fan du morceau original et là je peux dire que c’est le genre de remix que j’aimerais voir tout le temps dans ce genre musical…
Bref, rien à ajouter, merci beaucoup!
Ouai j’ai ecouté Nils Frahm, ça a l’air vraiment chouette lors de nuits blanches… !
Et effectivement, ce Fentiger rmx est peut etre la meilleure track de ce Feast / Beast en y repensant… !
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