Will you show me around ?
J’avais déjà dis énormément de bien du disque de Gil Scott Heron paru l’année dernière, que ce soit dans la chronique traitant de ce I’m New Here, comme dans le top 2010. Malgré son coté déconstruit, incomplet, bancal, presque incohérent, le tout dégageait une telle force, une telle beauté, et surtout une telle odeur de mort et de solitude, que le LP m’avait complètement abasourdi. Je me rappelle encore de ma première vision sur youtube de Me & The Devil, les yeux écarquillés, pour aller directement acheter chez le disquaire. Salué pour l’audace de son contenu (il fallait avoir des couilles de foutre une ancienne gloire soul sur de l’électro décharnée, là où de belles instrues mièvres auraient suffit à rassurer les charts) ou conspué pour sa noirceur et son manque de contenu (on ne peut pas contredire ces deux arguments) le retour d’Heron d’entre les morts n’avait que rarement laissé indifférent.
Reste qu’avec un album aussi claudiquant et court, le boss de XL recordings a eu l’idée, l’année dernière, de demander à l’ultra courtisé Jamie xx de remixer l’album en son entier (vous savez, ce qu’aurait du faire Burial avec HeligoLand). Même pas “remixer” en fait, mais carrement échafauder le tout à nouveau. Le rendre plus clinquant, plus évident, moins funèbre et désespéré. Et vu le talent du bonhomme pour balancer des refontes Uk Garage absolument mortelles, cette réunion Heron / Jamie ne pouvait que m’obliger à faire “refresh” sur la page amazon du disque pendant des semaines, afin de voir le libérateur “disponible sous 24heures” apparaitre.
La pochette, sublime, reflète cette dualité générationnelle imprégnant l’œuvre dans sa globalité, télescopant les sinusoïdales évanescentes d’un saltimbanque de l’agonie dans un vert prégnant, tandis que ce rectangle étouffé de pourpre cristallise le génie d’un juvénile artiste prêt à troquer les spasmes camés de sa formation d’antan pour une allégorie non sincèrement cette pochette est immonde, j’ai eu des putains de convulsions en voyant l’artwork pour la première fois, j’ai failli tourner de l’œil en ouvrant ma boite aux lettres, qui a eu une idée pareille ? (Jamie xx justement, le mec est bien parti pour faire une carrière dans le design) Heureusement que la photo des deux bonhommes dans le livret sauve le tout d’une agression de la rétine assez hallucinante. A moins que cette cover soit une représentation abstraite et expérimentale du Songs about fucking de Big Black. Dans ce cas là, je dis bravo.
La première surprise, c’est de voir que le tracklisting diffère franchement de l’album original. Ceux qui s’attendaient (j’en fais parti) à une symétrie Uk garage d’I’m New Here vont être drôlement déçus. Déjà, il y a le choix (intelligent) de ne pas s’attaquer à tous les titres. A dire vrai, deux des trois bijoux absolus (Me & the Devil / Where did the night go / NY is killing me) de l’original n’apparaissent même pas sur la galette. Jamie xx a peut être flippé de toucher à Me & The Devil, et on peut le comprendre, vu le monument qu’est ce morceau. On a donc des titres qui passent à la trappe, d’autres qui apparaissent sans prévenir. Ce qui ne change pas par contre, c’est que le disque est trop court, 35 minutes seulement alors que l’intérêt principal de cette refonte, c’était de donner un peu plus de longueur à la trop brève tirade originale. Je commence à me lasser de dire ça, mais sincèrement, il va falloir arrêter avec ces demi-disques…
Bref, pour parler musique, la ballade acoustique I’m New Here, est ici transfigurée, et fait office de superbe ouverture pour l’album. Si Gil Scott-Heron commence en déclamant un spoken-word de sa voix cassée, Jamie xx déboule rapidement avec des nappes cristallines à tomber. Ca se mêle au bonhomme, donnant une allure aérienne et presque joyeuse au morceau. 1min25, gros choc, voix pitchée, sonorités sublime, dance en slow motion, puis rythme gigantesque qui vient télescoper le tout. On part dans un dub enchanteur, soundsystem dans la neige, les murs tremblent, notre colonne vertébrale aussi. La conclusion est bourrée d’émotion, c’est du tire-larmes ensoleillé. Génial.
Et dès le deuxieme titre, on s’éloigne du matos original, pour balancer une nouvelle version de Home is where the hatred is, sur une instrue tout aussi folle, entre clochettes bouffées par les échos et rythmes aussi secs que grand’mamie oubliée sur son canapé. Les lyrics sont évidemment affolants, la prod totalement perchée, rien a dire, je me suis pris ce morceau en pleine mâchoire. On part aussi dans le conceptuel avec Running, qui avait bien besoin d’un lifting vu le minimalisme de l’original. Jamie xx s’énerve, c’est saccadé, beat qui explose dans tous les sens, allures pimp, baffes qui partent, la nuque prend cher. Mais le morceau s’envole réellement en sa moitié, le tout se braquant subitement avant de partir dans une tirade émo-8bits terrible, soutenant le ton grave de l’américain, pour un abstract hiphop qui saccagera tout palpitant sensible au genre.
My Cloud (que je n’arrive pas à situer…) pose l’ambiance avec un abstract-soul qui se paye de belles montées de bruit blanc, et l’on file dans l’espace avec le planant The Crutch, qui couvre sa rythmique épileptique avec des nappes épiques. Un résultat sympathique mais cristallisant peut être le seul morceau anodin de la galette.
Pour soutenir la thèse d’un album de “re-création” et pas de simple remix, il suffit de balancer les trois dernières missives de We’re New Here, déboulonnant complètement les fresques originales. Le funèbre Your Soul and Mine se transforme en house-trance débridée et hallucinée, avec un Gil Scott Heron qui n’a strictement plus rien à faire dans le coin. Le titre est néanmoins excellent, ultra plaisant, sorte de Delorean, mais le pyjama rose et envolées kitchs en moins. Pour le coup, le choix de Jamie xx m’impressionne : N’importe qui aurait renforcé l’odeur de mort du morceau original, sinistre comme jamais. Mais le beatmaker préfère balancer une refonte house ensoleillée et sexuelle. Allez savoir pourquoi.
Le seul des trois diamants du I’m new here à passer à la casserole sur cette galette, c’est NY is killing me. Et vu la beauté et la force absolue de l’originale, les MPC devaient suer le stress. Après une jolie complainte au piano (trop courte bordel !), le titre part dans un Uk Garage bouncy absolument imparable, au basses pachydermiques. Là encore, rien à voir avec la track de base, si ce n’est les quelques exclamations de Gil Scott Heron, mais c’est maitrisé de bout en bout. La mélodie rachitique parasite le cerveau, les échos percent les tympans, et les rythmes finissent de traumatiser les riverains. Tout en gardant les incantations dingues d’Heron. Encore une fois, le morceau bascule en sa moitié, avec des voix pitchées bien puputes Uk Garage et la mélodie construite avec des piaillements qui me volent le cœur sans forcer.
L’autre tour de force du disque, c’est I’ll Take Care of You, balade soul en retenue, devenue ici morceau Chicago-house incroyable, mâtiné de guitares à la XX et de claviers divins. La première moitié se la joue laidback, on fait danser pépère, avant de lâcher les chevaux, et de partir sur 3 minutes orgasmiques, avec un groove à faire danser les cadavres. Surement la plus grande réussite de ce We’re New Here, celle qui sublime clairement le matériel de base, qui s’en écarte sans le jeter à la poubelle, qui emporte Heron dans un espace plus lumineux, mais pas si éloigné des tirades qu’il balançait auparavant.
Evidemment, beaucoup vont faire la gueule, en arguant le fait que ce soit un scandale de salir, de détruire, de déféquer sur l’album original (il suffit de voir les commentaires hallucinants sur TheGuardian.uk). Pourtant, difficile de critiquer la démarche d’XL recordings pour le coup. Les mecs sortent de la démarche ordinaire du “on va sortir un album de remix moyen pour prolonger la durée de vie de l’original” pour carrément se dire “on va refaire entièrement un nouveau disque”. Comme si ce dernier avait toujours eu deux facettes. Ne pas être déçu par ce disque en le comparant à son paternel, vu que ce We’re New Here n’a rien de commun avec I’m New Here, les morceaux étant à des années lumières des originaux (NY is Killing me, Running et Ur Sould and Mine en tête). Jamie xx ne dévalise pas Heron, il ne torture pas des compositions déjà créées, il ne nivelle pas le bas des compositions qui se suffisent (comme souvent) à elles mêmes. Le mec prend la voix d’Heron, et compose entièrement un disque autour de lui. On aime, ou pas. Mais ce disque n’ayant strictement aucun rapport avec l’ancien, pas de quoi crier au meurtre. Petite déception par contre, aucune valeur ajoutée sur les interludes. Le seul vrai rapport entre ces deux LP n’est pas musical, mais structurel : Cette refonte est presque aussi courte que l’originale (il fallait le faire), trop avare en “vrais” morceaux (8 seulement), et reste frustrante, voir imparfaite. Mais le talent de Jamie xx pour tailler des instrues est trop évident pour que la galette reste dans l’ombre de son modèle. Le prochain The XX risque d’être mortel.
Apres avoir eu la vision d’un mec mourant sur I’m New Here, ce bien foutu We’re New Here offre celle d’un jeune épileptique, avide d’arpenter le monde. Les deux connaissent le bitume, les deux vivent la mégalopole, les deux se fondent dans la nuit noire. L’un a failli y crever seul dans les caniveaux, labouré par la solitude, tandis que l’autre l’arpente avec ses baskets et son ghetto-blaster. Dans les deux cas, la musique y est fascinante.
Gil Scott-Heron & Jamie xx – I’m New Here
Gil Scott-Heron & Jamie xx – NY is Killing Me
13 Titres – XL Recordings
Dat’
This entry was posted on Tuesday, March 1st, 2011 at 11:46 pm and is filed under Chroniques. You can follow any responses to this entry through the RSS 2.0 feed. You can leave a response, or trackback from your own site.
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ah oui alors là super chronique !
Perso, je n’accroche pas à cette relecture, mais je trouve l’optique trés interessante.
Et en effet, dommage “oui et non” qu’il n’y ai pas “me and the devil” (lui même une reprise) qui était tellement énorme, comme tu le dis si bien (moi aussi la 1ere vision du clip fut un choc… découvert ici d’ailleurs ;)), qu’il auait été dommage de le massacrer si ça avait été raté, mais en même temps, ça aurait été super interessant de voir ce qu’il aurait pu en faire 🙂
Merci pour la chro en tout cas 🙂
hey dat une petite news en passant, ce soir sur arte+le web mondkopf en live à partir de 20h
Janvier18 ==> Effectivement, je comprends que l’on n’accroche pas à la relecture ! Mais la demarche en elle même vaut le detour.
Yep cela aurait pu etre interressant d’entendre ce que Jamie xx pouvait faire de Me & The Devil et Where did the night go, malgré l’ampleur de la tache… et cela aurait fait un disque plus long aussi ahah.
Funky5 ==> Bon, il m’est impossible de regarder Arte, mais je vais regarder sur internet si je peux trouver ça, merci pour l’info !
Dat’
Autant j’avais pas aimé du tout l’album de Gil Scott Heron tout seul, autant cette refonte me ravit. Et je l’écoute en boucle. C’est drôle de voir une vieille branche prendre un coup de fraîcheur comme ça.
[…] A lire également, la critique de Dat’ sur les Chroniques Automatiques Aucun […]
Super chronique comme dab !
Je reve que tu nous fasses prochainement une petite chronique sur un des artistes de tympanik audio, genre un artiste comme Access to Araska – void();……. il y a eu de tellement de bonnes sorties sur ce label.
http://tympanikaudio.com/artists/access-to-arasaka/
Salut Dat’
Je viens aux nouvelles, j’espère que tout va bien là ou tu es !
Triste passe pour le Japon…
Tiens nous au courant.
Je venais faire comme skowz.
J’espere que tout va bien pour toi suite aux catastophes actuelles au japon.
Yo Dat tu as vu ca secoue encore… je sais pas dans quel coin de Tokyo tu es moi je suis a Sangenjaya.
Encore ce matin a 5h tu la senti? super court mais super fort. en esperant que ca se calme. les news ici ont l air plutot rassurante alors que tout le monde m appelle de France en me disant de degager, que c est le nouveau chernobyl!
une juste moyenne entre les 2 me parait raisonnable.. bon courage en tout cas
Sinon musicalement, je bloque sur Tyler the Creator et OFWGKTA. ils se font grave connaitre recemment et c est tout merite je trouve! Le morceau “Bastard” de Tyler et la video pour “Yonkers” … juste magnifiques!
Salut Dat’ ! Une grosse pensée pour toi en en espérant que tout va bien dans la mesure du possible pour toi et tes amis.
Yop Dat’ ! Pareil, j’espère que ça va, on se croirait dans un mauvais scénar apocalyptique, fais gaffe à ta peau mec !