Quand il y a de l’amour, les cicatrices sont aussi jolies que des fossettes
Comme beaucoup d’artistes chez Warp, Clark a symbolisé pendant une paire d’année un sacré coup de mou dans le roaster du label. Dieu chez les dieux, Chris Clark avait aligné une demi-douzaine de disques sans faute aucune, avant de balancer un Iradelphic frustrant et des EP Fantasm Planes & Iradelphic Sessions quasiment indigents. On sentait le bonhomme sur la dangereuse pente de la pop-isation champêtre, que peu arrivent à maîtriser avec succès, résultant sur un ennui rarement illuminé par quelques morceaux fous (le majestueux Com Touch). Certes Clark nous avait rassuré avec son Feast/Beast, collection monumentale de remix enragés, entre déflagrations noise et montées épiques comme il sait si bien le faire. Mais la plupart des morceaux étaient déjà connus, et le double disque ne donnait pas vraiment d’indices sur la direction qu’allait prendre l’anglais (et malgré la sortie un Ep bien frontal, Superscope, qui était plutôt sympa bien que salement anecdotique).
L’anglais allait t’il revenir une tulipe dans les cheveux et une gratte acoustique dans les mains, ou plutôt avec l’envie de déchaîner les enfers à nouveau, après sa pause arcadienne ? Ni l’un ni l’autre. Mais oubliez le soleil d’Iradelphic, et ne cherchez pas les directions multiples d’un Totems Flare. Car ce nouveau Clark est froid, très froid. Un putain de monolithe.
Il suffit d’écouter le premier single de ce Clark pour être rassuré. Mieux, pour se sentir pousser des ailes. Parce que Winter Linn est plus qu’un tube. C’est une charge épique, folle, violente, presque abusée. Une ode dance kitch défoncée par des hurlements de synthés quasi humains. Une force brute, qui tourne dans tous les sens, qui n’arrête pas d’imploser, attaque militaire contre une mélodie belle comme la mort. Car oui, chez Clark, ce qui est beau, c’est la mélodie. Qui explose, qui se fait démolir par des nappes monstrueuses. Anges tabassés, en sang, mais sortant toujours vainqueurs du conflit. C’est aussi le morceau au rythme souvent binaire, aplat Techno que l’on va retrouver tout le long de ce Clark LP. Difficile de décortiquer le morceau tant chaque seconde est majeure, tant le tout est fou. Growls Garden atone, le monde qui pleure, Armin Van Buuren se faisant sodomiser dans un trou noir.
Unfurla tabasse encore plus, avec une atmosphère plus enjouée, autre digression imparable d’un LP qui ne s’embarrasse pas et tape dans le dur. Sans hésiter, sans discontinuer, quitte à sonner dancefloor au possible. Naïf ce morceau ? Pas faux. Le pied techno sourd peut étonner, Clark ayant habitué à plus de fractures. Mais loin est l’ère de la banale techno. Tu sens les sirènes poindre, les barrissements à l’horizon ? Et c’est à partir d’une fracture brutale, pourtant mélodique, que les choses s’emballent et frôlent le passage à tabac. Clark fait des tubes ? Putain, on attendait que ça !
L’anglais confirme à qui veut la velléité techno de son disque, avec Strenght Through Fragility, traversé de bout en bout par un métronome régulier. Sauf qu’ici, point de déchirure, pas de cavalcade, d’explosion hors norme. Ici, c’est un piano tout simple, à chialer, qui se faufile entre grondements et battements de cœur. Morceau tout simple, perle noir dans un bordel sans non, fresque complètement anémiée. C’est pourtant l’une des plus belles tracks du disque, un petit chuchotement fragile balayé par une vague noise finale. On aurait voulu ça plus long, certes. Ça n’a pas la force brute d’un Night Knuckles non plus, évidemment. C’est pourtant magnifique, indispensable sur l’album.
Et plus on avance, plus l’on se dit que Clark épouse une forme assez similaire à Turning Dragon. Pas dans la sauvagerie, rassurez vos tympans. Mais dans cette façon de présenter un album au départ très direct, bien techno, assez “straightforward” (même si les surprises sont légions), pour dériver petit à petit vers quelque chose de plus complexe et expérimental : sur-violence avec Sodium Trimmers, aka soirée club avec des vampires, ou Banjo qui explose dans tous les sens, massacre tout ce qui bouge à coup de lasers incontrôlés et mélodie quasi-satanique. Du satanisme dans l’air, il y en aura avec Snowbird brisure du disque, basculement vers des territoires plus accidentés. Ici, on frôle l’ambiant, mais en mode ville vide peuplée de machines géantes renversant les buildings. On pense au remix de Kuedo par Clark et ses androids pachydermiques, sauf que le morceau est ici traversé par des voix d’anges psychotiques et une mélodie trop candide pour être honnête. Malaise et peur, un peu. Mi-morceau magnifique avec cette nappe folle qui déboule et emporte le tout dans une steppe glacée à perte de vue, le morceau passe de la comptine flippante, du manège détraqué aux divagation d’un homme perdu en haute montagne, calme face à la mort.
Mais Clark n’a rien d’un dépressif louche, et sait sortir des feux d’artifices dès qu’il le faut. Pour cajoler nos cœurs. Nous foutre des papillons dans le ventre. Mais des putains de papillons mortels. The Grit In the Pearl est l’autre grand morceau du disque, et nous fait dire, après des années à ruminer Iradelphic que le Clark dont nous étions amoureux est revenu. Mélodie de folie, sublime, à chialer sa mère. Synthés lunaires, truc qui se chante sous la douche en hurlant. Rythme en retrait, que tu devines ravageurs sous peu. Déjà, c’est beau. Mais quand tout s’emballe, que tout hurle, que tout cogne, que tout s’envole c’est parfait. Car à 1min40, c’est ton palpitant qui se fait la malle. Bouge toi, c’est ta colonne qu’on assassine !! Tour de force, va danser avec les morts, et pense à eux en tournant sur toi même. Donnez moi des nuits blanches, que je puisse sauter ad vitam eternam sur ce truc. Alors comme d’hab avec Clark, tout se casse, tout se nécrose, tout meurt, s’étouffe et s’arrache. Un peu trop tôt, clairement. C’est mauvais pour le cerveau, oui, mais c’est jouissif.
Beacon, Clark 100% pur jus avec arpèges de synthés en mode tsunami, qui engloutissent tout de façon graduelle avant de violer le spectre sonore, puis de partir en vrille cristalline en fin de course (la bonus track japonaise Treat semble presque en servir une version épurée, ralentie et lumineuse, bien que pas indispensable).
Bon, faudrait peut être un ou deux morceaux nul ? Non mec, il y a Silvered Iris qui se ramène, dance musique cancéreuse, monstruosité sortie d’un Totems Flare, mais avec un moignon en prime. Bruits de pas dans la neige, mélodie nauséeuse, rythme métrique au départ, puis rapidement flingué, on ne se sent pas à l’aise. Pas à l’aise à cause de la mélodie, à cause des accélérations soudaine, à cause des sons employés. Puis, pile au milieu, c’est le traumatisme, la gerbe après la bière de trop, avec la pièce qui tourne, la vue qui se déforme, le cerveau qui n’en peut plus de la vie. Hiphop déconnant et malade, techno qui s’emballe et se prend les pieds dans le tapis avant de vomir ses tripes. Ce morceau, c’est le Zui Quan, la boxe de l’homme ivre. Tu ne comprends rien, ça tourne dans tous les sens, tu te fous presque un peu de sa gueule. Sauf qu’à la fin, tu n’as pas vu la mandale venir, et tu gis la tête en sang dans le caniveau.
Bon, et vu que tu viens de prendre une dérouillée, tu préfères rendre les armes. Manque de pot, une dernière correction déboule, et pour le coup, avec There Is A distance In You, ce n’est pas la petite baston de maternelle. C’est le Viêtnam mon bonhomme. C’est la pluie de feu sur tes oreilles. L’Armageddon. En plus, tu le vois venir de loin, ce morceau. 7minutes, fin d’album, tu sens le bordel qui s’annonce. Et Clark ne s’embarrasse même pas 1 seconde, il te lance dès l’entame, après un écho de cathédrale, la meilleure mélodie de l’album. Dès la 25eme seconde, tu te dis “ah ouai, il va être sérieux sur ce morceau”. Les claviers sont fous, c’est le truc que tu chantes en pleurant, c’est la mélodie que tu cherches depuis ta naissance, coincé dans ta consigne automatique. 1min30, bassline qui déboule, tonnerre qui gronde “ah ok, vraiment vraiment sérieux…”. Digressions enfantines, on attend un peu, avant de finalement lâcher “bordel, il est sérieux là ???” à 2min30, quand le beat pilonne, quand les nappes hurlent, quand tout fonce vers les astres. C’est la déraison, l’angoisse, la beauté folle. Et c’est quand ton corps a trop dansé que Clark, encore une fois, invoque la nécrose, l’hiver noir, le désastre. Nappes qui hurlent, grondent et barrissent. Armée d’éléphants zombies soufflants dans leurs trompes, paquebot géant qui démolit les ports. Oh, la mélodie subsiste dans ce marasme, et c’est ça le plus beau. Toi, tu te retrouves bouche bée, sur le cul après une chevauchée pareille, avec les oreilles qui sifflent et le cœur qui bat la chamade. Et ce n’est pas dans Everlane que tu trouveras la rédemption. Juste un peu de réconfort peut être, avec ce bien bel écrin ambiant et des anges enfin pacifiques, perdus dans le brouillard.
Tu me vois venir, de très loin. Moi, fan boy de Clark, annoncer tout de go que cet album est dingue, qu’il défonce tout, qu’il est la sortie majeure de Warp cette année. Et tu auras raison, je pense cela mot pour mot. Mais en plus, Clark se paie le loisir, peut être pour la première fois, de sortir un LP réussi de bout en bout. Pas un raté, pas une merde, pas un morceau fainéant. Même les pièces ambiants sont belles comme tout, loin d’être redondantes. Certes, il n’y avait pas de merde dans un Turning Dragon, un Totems Flare, un Body Riddle. Mais il y avait quelques écueils, des morceaux moins engageants, des pistes qui s’écoutaient sans réel plaisir. Sur ce Clark LP, tout est bon. Tout s’enchaine. Et la cohérence est là. Maximum.
L’album est glacé, l’album est techno, l’album est parcouru par la dépression. Il y a de la neige sur tous les morceaux. Ça dégouline de solitude, ça pue le sexe mort. C’est une longue cavalcade qui ne s’arrête jamais, et qui empile les morceaux cultes (Winter Linn, Strenght Through Fragility, The Grit in the Pearl, There’s a distance in you font parti des meilleures compositions de Clark, sans hésitation aucune). Certes, l’anglais nous ressort encore et toujours son gimmick de “tuer” les morceaux dans leurs deux tiers, de dynamiter à coup de nécroses une track pourtant folle. Et si l’on aurait aimer entendre une The Grit in the Pearl s’étirer plus longuement (un edit club à venir ?) comment résister à la coulée de lave magnifique détruisant Distance In You ?
Clark est fort, Clark réassure sa suprématie, Clark a, avec un album surprise, encore tout gagné cette année.
Clark – Winter Linn
Clark – The Grit In the Pearl
14 titres – Warp / Beat
Dat’
TWITTER (vient danser sur Clark via Twitter)
This entry was posted on Friday, November 28th, 2014 at 1:19 am and is filed under Chroniques. You can follow any responses to this entry through the RSS 2.0 feed. You can leave a response, or trackback from your own site.
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