Looping state of mind
J’ai un défaut : il y a assez peu de label que je surveille activement, à vérifier et m’envoyer chaque sortie dans les oreilles. Je suis en général plus attaché à l’artiste directement, et je passe souvent à coté de quelques belles perles à cause de cela. Mais parfois, un artiste choque, et l’on est obligé de guetter chaque release d’une écurie histoire de ne pas louper les releases de son poulain favori, et groupes affiliés. AfricanTape fait partie de ceux là. Avant la double sortie du We Recruit de Ventura et du Marvin en 2010, ce label, je ne le connaissais que de réputation. Sauf que le LP de Ventura fut un choc tellement énorme, tellement violent, qu’il m’a pousser à ramoner toutes les sorties du label français. Parce qu’une maison de disque qui sort l’un des tous meilleurs disques de rock de ces 10 dernières années (voir, un de mes disques de rock préferé all-time) se doit d’être scrutée au peigne fin. Alors, pour la bonne nouvelle, il paraît que Ventura se secoue les puces, et revient foutre le bordel en 2013, avec un Ep prévu pour ce printemps, et un album un peu plus loin dans l’année. Le bonheur, l’exaltation, la semence.
Recentrons le sujet : outre un excellent Papier Tigre, AfricanTape a sortie une autre très grosse galette, sortie un peu trop tard en 2012 pour que je puisse en parler avant l’emballement de la fin d’année. Ce disque, c’est Discipline par Electric Electric, groupe français de son état. Et sacrement tordu de nature.
Alors on va évacuer une chose direct : le packaging fait de la peine. Voir fout carrément les boules… une feuille recto/verso, rien d’autre, le casier est transparent, les mecs ne sont même pas cassé le cul à foutre le nom de l’artiste sur la tranche. En gros, ce n’est pas mieux qu’un cd gravé. Alors le disque sort sur 4 labels différents, et peut être que ces derniers n’ont pas réussi à se mettre d’accord et qu’ils se sont entretués avant de décider du packaging. C’est pas très grave hein, mais c’est, je crois, la première fois que je regrette d’acheter une édition physique plutôt que des mp3 et que je me dis “ouai ben sur itunes, c’etait 4 euros de moins, je me suis bien fais baiser vu la tronche du bouzin” (pour que je me dise cela, moi, l’autiste des rayons de disques, vous vous rendez compte de l’ampleur du désastre). A une époque où les disques ne se vendent plus, je ne comprends vraiment pas le choix de sortir un truc qui n’a strictement aucune valeur ajoutée à coté de mp3 labellisés itunes.
La musique ? Elle, elle vaut son pesant d’or. Après une intro tribale, Electric Electric balance directement le meilleur morceau du LP, La Centrale. Une guitare nous effrite la gueule des l’introduction, pendant que des percussions font une crise d’épilepsie en fond sonore. Ca monte, ça gronde, quelques voix fantomatiques, on prépare le terrain pour une montée fantastique. Ca se cabre, ça grince, mais pendant plus 1min30, ça menace sans exploser. Et boum, un rythme binaire déboule et tabasse tout ce qui bouge. Tu commences déjà à avoir mal à la nuque, mais les français veulent aussi te violer le cœur, et une superbe mélodie est crachée par la guitare. Tempête, on part dans un maelstrom émo joussif, beau à pleurer et sauvage dans le même mouvement. Les voix reviendront tempérer le tout, mais niveau baffe dans la gueule, on est quand même servi. Au final, le morceau fait énormément penser à un groupe comme les folles Nissennenmondai, le coté Techno un peu moins prononcé, mais le chant en plus, utilisé ici comme un instrument supplémentaire. Ce morceau arrive à faire un grand écart assez étonnant entre pop, electro et punk dégéneré, avec ce qu’il faut de progression épique pour nous dresser les cheveux sur la caboche. Quand la guitare se lâche, pile sur la 3ême minute, c’est jouissif à en chialer.
Sur Neutra Tentra, autre coup de talon directement enchainé, on pense un peu à Battles, avec ses gimmicks complexes, ultra riches mais pourtant limpides, ces grignotements de guitare, ces cordes qui se nécrosent sur elles mêmes à toute vitesse pour donner un rythme carnassier à la mélodie. D’autant plus que derrière, ça tabasse grave sur les fûts, histoire de bien violenter les tympans. C’est strictement impossible à décrire, on est dans un espèce de chaos maitrisé tenant autant, dans sa structure, du math rock furieux qu’à l’IDM expérimentale. En bonus, les grondements des 30 dernières secondes risquent de glacer plus d’une échine. Et le groupe ne semble pas vouloir s’arrêter de balancer des tubes, et s’arrache complètement sur Discipline, qui semble plus posé que son pote du dessus, mais qui lâchera de sacrées bourrasques au final. En pensait être dans le rock instrumental pépère, on se retrouve pris dans un cyclone hallucinant, avec un batteur qui s’arrache littéralement les bras façon Lightning Bolt, et des guitares quasi-noise, qui hurlent comme des damnées, genre MTV passé dans une compresse à métaux. Le plus drôle, c’est qu’une petite mélodie, cloches cristallines, tentera de se frayer un chemin dans tout ce bordel, au moment où la noise est la plus dure, histoire de rajouter un coté beau et mélodique au tout. Une prouesse absolue.
Mais Electric Electric ne semble pas vouloir forcément faire dans l’évidence, et après avoir balancé trois tubes viciés coup sur coup, l’album va partir sur des terrains plus mystiques. Pornographic Arythmetic te balance dans un temple vaudoo, avec des putains de tarés qui tournent autour de toi en chantant des cantiques chelous et en frappant des guitares électriques, histoire de bien te faire comprendre qu’ils vont te voler quelques organes, mais sans anesthésie. La mélodie hallucinée, façon xylophone ableton (impossible à décrire) fini de te convaincre que tu es en plein trip psychotrope. La première montée, terrifiante, qui intervient à la 2eme minute, filera de la tachycardie à n’importe qui. Ce morceau tribal cauchemardesque se vit comme un Animal Collective passé à fond dans une cellule capitonnée avec trois colocataires sous médicaments qui te tabassent. Ou la totalité des morceaux de In Stormy Nights du japonais Ghost passés en même temps, avec ta putain de tête dans un lave vaisselle. Une folie furieuse, l’autre claque gigantesque du LP.
Mec, tu ne respires plus après cette mandale, et tu cherches ton souffle ? ben tu vas souffrir, Electric Electric maintient ta gueule bien fermement sous l’eau pour l’absolument inhumain Exotica Today, sorte de drone rock parasité par des clochettes oppressantes, pour un résultât complètement claustrophobique, mais là encore super bandant. Ces mecs sont fous.
Étonnamment, Xx2 déboule avec son rock débridé, presque normal, avec des riffs bien identifiables, et une litanie sombre qui cogne. Morceau de rock pur, avec quelques voix chelous noyées au milieu, ce titre nous tire de la léthargie confuse et droguée qui nous habitait depuis deux-trois morceaux, pour nous casser la tronche avec un gros morceau bien direct et bourrin. Bon tu auras le droit à ta dose de sueurs froides avec le final sous acid quand même, parce qu’il faut pas déconner non plus, on est chez Electric Electric. Xx1 sera lui aussi bien frontal, dans un noise-rock-shoegaze hystérique qui fracassera bien des murs lors de sa charge la plus violente.
Après ces deux attentats en règle, le disque peut repartir sur des terrains plus accidentés, et si Summer’s Eye reste sacrement agressive, le rythme redevient complètement claudiquant, entre tabassage techno et batterie en mode accident de voiture. Les nervures mélodiques renvoient là aussi à un concert de rock en plein saut de parachute. Je passe sur la conclusion hystérique du morceau, qui m’a presque choqué. En écrivant ses lignes, mon chat avait les oreilles et me regardait d’un œil interrogatif. C’est des signes qui ne trompent pas. C’est sur Ulysses que l’on peut deviner que Electric Electric n’a pas que du rock dans sa discographie. Presque IDM dans l’âme, mais joué en live, ce morceau, sublime, distille doucement sa mélodie, cristalline, dans un maelstrom de percussions et de cuivres cancéreux.
Material Boy conclura le disque avec un assaut de plus de 8 minutes, avec un rythme militaire et des guitares menaçantes qui n’en finissent plus de tonner, accompagné là encore d’une petite mélodie cristalline, innocente, fragile, qui surnage au centre du carnage. Des que les voix arrivent, le morceau se fait moins guerrier, plus planant, plus progressif, et les poils commencent à se dresser. La progression se fait de façon très harmonieuse, pas de grosse rupture ou changement, c’est juste un tremblement de terre qui gagne en intensité graduellement, jusqu’à nous foutre le cerveau en l’air.
Encore une fois, Africantape impressionne, par un doublé : En 2010, on avait Marvin et Ventura. En 2012, on se tape Papier Tigre et Electric Electric. Ce Discipline est une déflagration folle, qui donne autant envie de remuer son cul que de se jeter contre les murs de sa baraque. Qui te file l’impression d’être en train de prier dans une secte de cinglés cannibales. De braver la mer en plein typhon, avec une guitare métal comme figure de proue. D’écouter de la techno mutante et épileptique, remixée par des cinglés chevelus cloitrés dans un garage avec leurs grattes. De se masturber au milieu d’un ouragan, les jambes attachées à un camion qui te traine à fond sur un chemin de terre. C’est violent, c’est beau, c’est chaud, c’est métallique, et en plus, ça te fout de bonne humeur (et un peu la gerbe aussi, mais celle que tu as le sourire aux lèvres).
C’est certes un disque salement amoché, un truc pas facile à avale du premier coup, similaire à des coups répétés dans ta nuque. Mais qu’est-ce que c’est bon! Il aurait pu/du se faufiler dans mon top de l’année si j’avais réussi à l’avoir un peu plus tôt. Mais en même temps, quand le kiff est grand, les listes sont accessoires.
Electric Electric impose sa Discipline : te foutre des coups de lattes sur le cul, qui en devient rouge vif. En relevant ton froc, tu promets désormais de rester sage, mais en croisant des doigts, attendant la prochaine punition avec une impatience perverse. Grand disque, belle correction. Ps : Africantape, Ventura, en 2013, je vous attends pour de bon.
Electric Electric – La Centrale
11 morceaux – Africantape / Murailles Music / Herzfeld / Kithybong
Dat’
This entry was posted on Thursday, January 24th, 2013 at 1:43 am and is filed under Chroniques. You can follow any responses to this entry through the RSS 2.0 feed. You can leave a response, or trackback from your own site.
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