Crache
L’acier fatigue. Les machines qui implosent aussi. Aux collisions il préfère la mélasse. Aux usines grises et désaffectées la mégalopole, dépressive et bardées de néons roses. Besoin de respirer entre les chocs. De sentir la lumière, le soleil, de croire à la fin de la nuit. Il faut que cela gronde, il faut que cela fulmine, il faut que cela hurle, mais freiner le chaos. Quitte à se faire tabasser, autant être bien installé sur un sofa une clope au bec, qu’attaché sur une pauvre chaise dans une cave, les pieds dans la flotte. Désormais lécher le sang des autres, plutôt que de panser ses propres plaies.
Frog Pocket, dans l’article précédant, l’a bien compris. Violence furibarde certes, mais lumineuse, émotionnelle, brillante. Fracas et destruction oui, mais frissons et mélodies surtout. Ad Noiseam, label au combien indispensable de l’électronique européenne, oscille souvent entre l’étouffant et la clarté. Le label avait frappé fort l’année dernière avec des galettes comme celle de Raoul Sinier (imprimant parfaitement cette dualité), d’Enduser ou Igorrr. Et voila qu’un nouveau français s’y colle, et tente de nous casser la gueule à coup de breakcore, genre qui n’est plus aussi motivant qu’il y a quelques années. Sauf que là, le breakcore de Ruby My Dear est salement propre, riche et racé.
Ne vous méprenez pas, le français tabasse dur sur certains morceaux. Après un étrange Maiden qui aurait pu se faufiler sur le Something Wicked This Way Comes des Herbaliser, Ruby My Dear balance la sauce avec un Rubber’s Head ultra violent, oscillant entre drill’n bass couillue, breakcore épileptique et bassline d’enculé que n’aurait pas renié un Reso. Les notes cristallines qui perlent ne font pas illusion bien longtemps, c’est bien la sauvagerie qui prime sur cette track. A partir de 2min25, c’est comme si on te prenait la gueule pour te la frotter contre le bitume.
Ca commence bien ? Oui. Mais c’est encore mieux sur le titre suivant, Karoshi, le tour de force de l’album. Mélodie japonisante sublime, qui glisse dans tes oreilles en frisant presque avec l’émo. Plus d’une minute trente de beauté, de temples made in Asakusa et de litanies lumineuses. Puis c’est le bordel, le fracas, le chaos total. Break qui explose, rythme qui se cabre, grogne et s’insurge. Pourtant le morceau n’oublie jamais de respirer, et l’on n’est pas sur du tabassage non stop. Chaque soulèvement est vécu comme un permis de tuer, et les pauses permettent de se remettre le cerveau en place. La mélodie mec. Du breakcore oui, mais de la mélodie belle comme la nuit, aussi.
Ruby My Dear ne résiste pas à balancer quelques ogives nucléaires matinées de reggae-dub. Uken est jouissive, avec sa rébellion fermentée dans la weed et ses voix d’anges tentant de perler dans ce marasme hystérique aux 100 samples. Rhythm-a-ning te sort le dub enfumé qui se fera violer par du hardcore. La longue outro te permettra à peine de laver le traumatisme. Chazz fracassera du Dancehall featuring cordes asiatiques, ça pourrait faire penser à du Filastine sous stéroïde, qui aurait décidé de sortir les basslines pour bruler le monde. Ouai parce que les basslines, ça a l’air d’être l’autre truc de Ruby My Dear. Sur Monk’s Dream, qui n’a de Thelonious que le nom, c’est l’émeute totale, le soulèvement divin, les plaies d’Egypte. Après t’avoir brisé le cœur sur une superbe intro, il faut le souligner. Le mec te caresse dans le sens du poil, te chuchote à l’oreille que tout va bien se passer, avant de te foutre la main dans le mixeur avec le sourire aux lèvres, en mode Goonies pour adultes adeptes de la sodomie.
Mais mais mais… Ruby My Dear a l’intelligence de ne pas tabasser outre mesure, tel un sauvageon adolescent qui taperait sur les murs de sa chambre sans discontinuer. Non, tous les morceaux précités, s’ils sont sacrement tordus et cramés, réservent toujours des plages belles à croquer, pleines de respirations salutaires et mélodies glacées. Ses fresques soufflent le chaud et le beau, et le français sait parfaitement stopper le massacre au bon moment pour éviter l’overdose, et nous emmener sur des terrains plus cléments. Le tout cristallisé sur le très beau Pannonica, son intro hiphop ensoleillé bardé de clochettes candides et violons qui draguent la colonne vertébrale. Alors oui, ça va partir dans une drill’n bass d’écorché, pleine de vrilles et de rouille. Mais putain, qu’est ce que c’est beau, une drill pareille, violente ET mélancolique. Ravagée mais fragile. Ca s’emballe, ça explose de partout, mais ça emporte ton âme dans les nuages. Et cette conclusion qui file la chair de poule, avec ces chants religieux et ce beat claudiquant. On frise la perfection.
Knit for Snow arrivera au bon moment, lorgnant plus du coté de la Bass Music, avec un rythme qui n’en fini plus de se nécroser, et des samples qui ne cessent d’apparaître. C’est beau, et tu en claquerais presque des doigts, si la bassline de la fin, sur cette mélodie aérienne en diable, ne t’arrachait pas la mâchoire. Du bon boulot.
Et puis il y a les deux monolithes, les deux marathons du disque, qui frisent les 10 minutes. Syuma tout d’abord, qui en fera chialer plus d’un avec son simili-orgue désabusé, ses changements de rythmes incessants, ses ruptures abusées, comme si le sol se dérobait sous tes pieds toutes les trente secondes. Et L.O.M (loutre oblique méridionale), qui va te déballer ses couilles des le départ histoire de bien te montrer qui est le patron ici. Sans faire impasse sur les samples français débiles qui doivent bien être tirés d’un reportage made in Tf1.
De la drill de sauvage? Non. Du breakcore de cathédrale ? Sans hésitation. Ruby My Dear te balance sans crier gare (je n’avais pas entendu ses anciennes sorties, si l’on excepte son remix du dj shadow, le seul que j’avais gardé de la compilation d’ailleurs) un putain de disque avec Remains of shape to come, maitrisé de bout en bout. Le bonhomme sait laisser des pauses dans son album, des respirations qui permettent de s’avaler le tout sans s’étouffer. Mieux, même si le mec ne rechigne pas à te foutre des mandales en pleine gueule, il pense surtout à te planter des étoiles dans les yeux et des papillons dans le ventre. Ecouter un disque du genre en sautant partout dans son appart, c’est bien.
Mais profiter de Ruby My Dear en secouant gravement la tête, tout en ayant la petite larme mélancolique qui te coule sur la joue, c’est encore mieux.
Ruby My Dear – Karoshi
13 titres – Ad Noiseam
Dat’
This entry was posted on Tuesday, July 17th, 2012 at 10:25 pm and is filed under Chroniques. You can follow any responses to this entry through the RSS 2.0 feed. You can leave a response, or trackback from your own site.
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Wonderful :’)
Encore une autre chronique qui sort sur la première page de google quand on tape le nom de l’artiste.
C’est comme ça que je suis arrivé ici la première fois, en tapant “Autechre Quaristice”.
*souvenir*