Ouai les animaux c’est de la saloperie
Dans la vague Hiphop indé français du début des années 2000, des mecs talentueux, il y en avait des tonnes. La verve souvent alambiquée, télescopage des genres, les instrues taillées à l’or fin, en s’acoquinant souvent avec l’électro dans toute ses formes. Nouvelle décade, certains ont disparu, d’autres végètent, pas mal sont parti en couilles, et quelques uns ont gardé leur ligne de conduite, égrenant le paysage hexagonal de quelques albums toujours aussi bien branlés. Grems fait parti de ceux là. Empileur de mots, poèmes saccagés, porn-prose de haute volée, le bonhomme est apparu (je crois) pour la première fois dans mes oreilles grâce au petit bijou Sonophrologie de son projet Hustla, avec Le Jouage. (justement, car j’aimais bien Le Jouage. Ce dernier découvert car aimant bien Delleck. Lui aussi découvert car j’aimais… bon ok on n’en fini plus) Bref, Grems s’est faufilé et m’a foutu une torgnole avec son Microbe, son Micropolis ou son Intro. Même histoire pour ses tracks sur Kamasoundtracks (Aka la réunion des mc absolus)
Suite à Hustla, le premier album solo de Grems écouté, Air Max, attendu comme un mort de faim à sa sortie, m’avait administré une claque absolument mémorable. Pour moi, ce Air Max reste l’une des toutes meilleures missives balancées dans le Rap Français, et de loin. Parfait mélange entre rap electro et hiphop plus classique, la galette contient certains des plus gros tours de force du HH hexagonal, avec en point d’orgue “Les Gothiques”, cristallisant tout ce qui se fait de mieux chez Grems : Instrue de folie, un flow au débit à rendre fou tout Mc amateur, un texte complètement craqué, empilement de mots salaces et de métaphores facétieuses encore plus bandantes qu’un mannequin en porte-jarretelles qui te lècherait l’oreille. Sinon, il y a “Tu parles pour tchi” qui reste pour moi le meilleur morceau rap / house, un “Pessimiste” qui te donne envie d’aimer ta sono, ou “Rakaille Numerik” qui te propose de kicker tout le monde dans les transports en communs en hurlant “j’vous nique tous”. Sinon je passe le titre éponyme “Air Max” dès que je peux sur Tokyo, et tout le monde s’entretue en ayant orgasmes à répétition, même si personne ne pige les paroles. Preuve que les instrues ne sont pas là pour la déco.
L’album suivant, Sea Sex & Grems, même s’il reste méchant, n’avait pas la force de Air Max. Faute à une tracklist un peu bordélique, alignant plus de trentes morceaux, jamais mauvais, mais pas toujours absolus. Avalanche de feat, de styles, de genres, c’était bien, mais un peu le bordel aussi, l’album ayant un incontestable ventre mou, même si l’on trouvait quelques trésors dans le lot (Cr18 en tête, et une fin d’album absolument épique). En plus, il était chaud à trouver, ce con de disque. Bref, jun successeur etait durement attendu, en espérant, secrètement, un digne successeur de Air Max.
Broka Billy, le petit nouveau, s’est fait désiré. Annoncé, repoussé, disparu, teasé par un clip/morceau de folie (Dimanche, parfait) puis englué dans le flou entourant chaque release de Grems depuis quelques temps (impossible de trouver une vraie date de sortie, lieux de ventes ultra sélectifs voir inexistants, marketing réduit à néant si l’on excepte quelques clips bien sentis…) Bref, ce n’est pas Grems qui s’impose, c’est bien toi qui doit venir le cherche, le débusquer, et s’occuper en plus des démarches administratives. Mais Grems a mis les petits plats dans les grands pour ce Broka Billy, et nous sort carrément un livre dans disque. Ou un disque dans le livre.
Car il ne faut pas s’y tromper, la première chose qui frappe sur cette nouvelle galette, c’est le livre(t) de grande classe accompagnant l’album : couverture rigide, papier bien épais, le tout se construit autour des morceaux du disque, en présentant les lyrics intégralement, et en illustrant à chaque fois la track à coup de photos, graff, dessins ou anecdotes. Details qui a son importance, chaque morceau est affilié à sa ville. La vie du mc semble donc se partager entre Londres, New York, Paris et Montpellier. Bref, le parfait manuel du Grems illustré, le bonhomme officiant autant dans la musique que dans le design et la street culture. (et plus présent que l’on ne le pense, Grems ayant signé la psychédélique campagne pub de la RATP l’année dernière par ex, ou des unes de journaux)
J’attends toujours Grems sur deux choses. Les textes d’une part, épileptiques, rafale de mots formant toujours un ensemble ultra cohérent. Là où la plupart des Mc écrivent de gauche à droite, Grems n’hésite pas à échafauder ses couplets dans toutes les directions, allers-retours et diagonales. Mots à mots, cela semble partir dans tous les sens, mais le tout impressione toujours par sa coherence. L’autre point évident, c’est la couleurs des instrues. D’un relatif classicisme electro-abstract, Grems a petit à petit glissé vers sa “House de racaille”, son Deepkho, pour former une tambouille arrivée à maturité sur le dernier Rouge à Levres.
Bon, autant y aller franco, l’ouverture du disque, La Barbe, m’a déboité la gueule. Troubl nous à concocté une instrue folle, bijou techno cristallin, beat binaire bien sourd, avec synthés qui t’arrachent la colonne vertébrale en crevant dans les échos. Au final, on est pas loin de groupes comme… Echospace justement, qui taillent la musique en 3d. Grems pose tranquille, mais c’est une intro alors la track s’efface bien rapidement. Dommage, tant le tout est superbe. Vraiment. Première minute, on tient déjà la meilleure instrue du disque, voir la meilleure compo sur laquelle Grems a pu poser. Carrément.
Bisou arrive, et déboule comme étant typiquement le morceau qui va énerver les premières secondes, puis devenir indispensable au final. C’est confirmé, sur son Broka Billy, Grems craque. Il explose les frontières. Meme pas en fait, il s’en branle total, il part dans un trip halluciné, qui va courir sur tout le disque, et qui n’a, à ma connaissance, pas d’équivalent dans l’hexagone. Alors ouai, le Bisou, c’est un délire cramé, à l’intro interminable et jouissive, gros tunnel electro crade produite par un mystérieux Opolopo, suédois de son état. En gros, pendant 5 minutes, c’est des claviers ultra crades qui tressautent dans tous les sens, des beats cassés qui te roulent dessus, pour une cavalcade techno hallucinée. Grems lache deux couplets de grand malade au milieu du marasme, et un refrain impossible à articuler pour un mec normal. Bon courage pour balancer ce morceau en live. Bref, c’est complètement mortel, je ne trouve pas de comparaison à donner là. Et attendez, c’est pas le petit trip perdu dans un album écrasé par une fausse normalité. Nan. Toute la galette est comme ça. Perchée. Off Limit.
Un peu plus loin, Carlos sort le grand jeu. Broken-beat de drogué, les beats claquent comme des coups de fouet sur une croupe, les synthés se tordent, crissent, mutent. Warpzone. Sur cette instrue de l’impossible, Grems dépeint la vie de Carlos, faisant du flouze en vendant du cul. Et c’est là que la plume de notre mc est la meilleure. Quand ça parle cul. Mais pas de cochonneries bas du front hein. C’est de la plume nymphomane, du prix Goncourt en rut. “J’ai trouvé du taff, designer des pop up / Dessiner des mannequins, leur donner des peaux neuves / Google, sexe, allo pass et call girl / Chiennes, gays, lesbiennes, vielles et beaux reup’ / Numero de carte, t’es baisé, gros fuck / Ma compagnie, tu pourras dire que c’est des voleurs / Le biff, le biff, le biff, on en connaît pas l’odeur / Je fais des gifs animés, des bites et des grosses teubes”. Ah, et quand tu crois que le morceau est fini, le tout part dans un trip génial. La track s’énerve, grosse ascension jouissive, ça vire dans le noisy, on vient de se faire arracher la tête. Gros alien, petit chef d’œuvre.
Moins secoué, mais tout aussi plaisant, Miki part dans un trip House-dance putassier parfait pour claquer des doigts en buvant un coca, pas si loin des exercices de Rouge à Levres. Les deux derniers tiers du morceau laissent l’instrue seule pour attaquer tes hanches, ça s’immisce inévitablement dans les synapses.
My Name is Micheal refait venir Son Of Kick (qui a composé Carlos) pour un autre titre electro en apnée, complètement craqué, noyant encore les paroles de Grems sous 5 minutes de Techno géniale. On perd la notion du temps, ça n’arrete pas de changer de rythme, d’ambiance, ça saccade, ça part en vrille, ça retombe sur ses pieds, c’est riche comme la mort, ça fourmille de détails, fresque folle qui part en techno lunaire sur la fin. Quand le morceau se dérobe, on a pas compris ce que l’on vient de se prendre en pleine trogne, mais on a bien compris que c’est grand.
Mais le vrai tour de force de ce disque, c’est Rencontre Avec Un Ballon. Ca tombe bien, la track a sa vidéo. Il est pas con le Grems, il sait qu’il tient un diamant. Une tuerie absolue. Sincèrement. C’est d’abord des lyrics de folie, parfaite cristallisation du flow à la Grems, de son rap cradingue, de ces mots mis bout à bout, de ses phrases affolées qui volent dans tous les sens. Cela se construit petit à petit dans tes tympans, la phrase actuelle t’explique celle qui vient de passer, c’est du lego textuel, de la dissertation sexuelle, des phases de vandale. Le tout déclamé à vitesse maximum, sans jamais bouffer un mot. L’histoire, c’est Grems qui rencontre une nana dans la rue, et ils baisent. C’est tout. Mais c’est bien. “Il est 15h37, métro Blanche, direction Clichy Mairie / Rdv pour une performance / Une jolie fille qui veut me faire offrande / De ses orifices. Alors on fait comment, on se mobilise ? / On s’immobilise oui ! Pourquoi on se plait autant ? / Jolie cuisse étonnante. Ma folie me guide je suis un cerf-volant / J’suis chaud, si si. Meme pas besoin de payer le restaurant / Je suis juste un gros zizi et assez éloquant” … “Bon, elle a enlevé le haut direct / Je peux plus faire le beaux, je lui gère le dos, je dissèque / Elle kiffe et me dit : t’as de beaux biceps / Ouais, j’ai grossi, et toi aussi t’as de jolies fesses / Nuisette, v’la le morceau, la bête de meuf / Le gigot d’agneau, la pièce de bœuf / La cuisson commence, la cyprine coule à flots / Sève de teush, je la bouffe, cadeau, je la baise deux heures / Qu’est-ce-qu’elle aime le Grems”. Sinon, les refrains déclamés par deux demoiselles, Frida Carlos & Dame de Cœur, sont les inserts vocales les plus affriolantes de l’année. Des friandises pour la bouche.
L’instrue, c’est une aberration, la déraison, le pêtage de plomb. Klimaax accompagne le flow de notre parisien avec une électro crade et rampante. Ca claque, c’est sombre, rue la nuit, usine, métro. Grems vient de jouir, il prend le biff et se dérobe. Mais la musique ne veut pas s’éteindre, et c’est la progression, la montée du disque ultime. Cet hiphop cradingue se transforme petit à petit en explosion techno-noise bien violente, c’est absolument jouissif. Coup de pelle dans les mâchoires, les beats pilonnent, les claviers hurlent, les “chatte / pute” frisent l’épilepsie. Violence, pugilat, passage à tabac. Unique. En plus d’être ultra addictif. Ah, et le handclap à 1min54 est le meilleur handclap de 2010. J’ai trouvé le nouveau morceau pour ruiner mon entourage.
Mais que l’on rassure tout de suite nos tympans, ce Broka Billy ne tourne pas que sur des instrues fracassées et expérimentales. Car Grems, comme le titre le soutient, amène sur cette galette son Broka, rejeton Deepkho un peu plus cabossé, aux fortes teintes broken beat et Uk Garage. Du cool Le Broka à l’excellent Tuer Le Chat et son chorus miauleur, ces titres permettent de reposer un peu l’ambiance, et de quitter les sommets escarpés des délires précités. On a même de vrais petits bijoux, comme sur Snake Bite, Uk garage mutant en techno planante, ou le superbe Place de la Com, tout en retenue, en apesanteur, noyé dans les nappes ambiant et un rythme que n’aurait pas renié bonhommes du 2step/dubstep en vogue actuellement. D’ailleurs, en entendant certains de ces morceaux, je ne rêve qu’à une chose, que Grems fasse appel à FaltyDL pour une ou deux productions, tant l’univers de l’américain pourrait s’harmoniser avec son flow. La même pour le très beau Ne Pleure Pas, Grems accouchant d’un texte plus grave, personnel et indissociable de la lettre écrite dans le livret.
Autre suprise, le Broka Billy feat Foreign Beggars, entêtant et plutôt réussi, se retrouve magnifiée en fin d’album par Machidrum (sur l’un des trois titres remix bonus), pour un Broka Billy Rmx hallucinant, avec des synthés simili-chiptune-electro-bleep qui filent la chair de poule. Tu voles, ciel rose, nightclub, minijupes et lasers qui dilatent la rétine. C’est beau, ça tabasse. Instrue parfaite. Amsterdam pourra refroidir vu son instrue un peu trop pépère, mais on se rattrape encore avec des tirades de folie.
Les deux seuls défauts du disque, mineurs, sont les suivants :
– Gros regret de ne pas voir la version originale de Dimanche sur ce disque. Ici, Dimanche Rmx étonne avec son déluge de rythmes façons breakbeat-tek-latine, mais la version originale sortie l’année dernière était tellement classe, évidente dans son osmose Mc / instrue que l’on ne peut que chialer de ne pas pouvoir se refoutre le morceau dans les tympans.
– Il n’y a pas Iris en feat quelque part.
Voila.
Car il ne faut pas se leurrer, Grems fait carton plein avec ce Broka Billy. Certes, comme d’hab avec le bonhomme il y a deux trois titres un peu moins excitants (Photosoap, Place de la Com Rmx et J’essaye, pour ma part) mais le reste du disque est tellement énorme, tellement dingue. Une vraie claque. Sea Sex & Grems souffrait, malgré un tracklisting de gros bourrin, d’une structure un peu trop cadrée, rentrant un peu plus dans le rang que le Air Max ou les Rouges à Levres.
Sur cette nouvelle galette, Grems se lache. Il ne veut même plus se démarquer, vu qu’il est désormais tout seul sur le terrain de jeu. Hors comparaison. Je ne dis pas qu’il révolutionne la musique, qu’il est en avance sur tout le monde ou autre tournures à la con. Non, il vient juste de créer un truc chelou, malade. Il n’est pas en avance, il n’est pas au dessus, il n’est pas dans le “game”. Il est juste “ailleurs”. Autre part. Tres loin. Là où personne n’est allé foutre les pieds, et la où personne n’est assez dingue pour aller le rejoindre.
Grems, en plus de ses délires textuels habituelles, injecte une petite dose de sérieux dans son disque. Ce n’est pas explicite, mais on le sent, comme un fil rouge, tout au long du disque. La perte de sa fille, une rupture, l’éloignement, sa vie à l’étranger, la fatigue de se mettre à l’envers. Le chat est égratigné, il clopine, mais il a toujours les griffes dehors. Car il est fier. Et qu’il veut encore chasser de la coquine souris.
On sent aussi que le bonhomme ne fait pas ses Cd pour vivre. Ses deniers, il doit surement les gratter avec son activité dans le design. Alors il s’en bat les couilles le Grems, il peut tout se permettre, tout tenter, cramer les tympans. Son amour pour Detroit et le Hiphop cabossé s’illumine. Et cette liberté donne des titres incroyables, des bombes absolus, des trucs qui m’ont percé le cortex ou cajolés la nuque. La Barbe (cette prod !), Place de la Com, Rencontre avec un Ballon, Carlos, Ne Pleure Pas, Broka Billy Rmx, Bisou, My Name is Micheal, Tuer le Chat… La liste est longue, mais les morceaux sont tous des tueries indiscutables, qu’elles naviguent dans l’electro-techno-experimentale ou le Uk Garage broken-beat.
Bref, Broka Billy est un album monstrueux, hors norme, grosse claque.
Et vu la distribution anémique du disque, ça va surement rester secret, mais Grems vient de fracturer le Hiphop français.
Grems – Rencontre avec un Ballon
La Barbe By Grems Prod Troubl. from grems miki on Vimeo.
Grems – La Barbe teaserGrems – Dimanche
Dispo chez Edition Populaire
17 Titres + 3 Remixes – Edition Populaire
Dat’
This entry was posted on Wednesday, July 7th, 2010 at 7:15 pm and is filed under Chroniques. You can follow any responses to this entry through the RSS 2.0 feed. You can leave a response, or trackback from your own site.
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