Deerhunter – Cryptograms



Flux et refus






Il y a des disques qui nous étouffent. Qui nous plongent la tête dans un océan de crises de panique, de paranoïa et de psychose aigue. Qui nous jetterait presque des pilules à la gueule, que l’on mâcherait d’un coup, en tremblant comme des damnés, sans même prendre le temps d’aller chercher un verre d’eau.
Ou qui cristallisent justement ce manque de cacheton, terrible, qui survient au milieu de la nuit, au moment où l’on s’apprête à se coucher. A retourner les meubles pour trouver une boite égarée, un médoc perdu dans un coin de sa chambre, noyé sous la poussière. A hurler de rage après une recherche que l’on devinait stérile et infructueuse, pour se recroqueviller sur soi même en attendant que les minutes, les secondes, les centièmes, trop longs, défilent. Les mâchoires crissent, se bloquent. Les yeux se mouillent, brulent. Les mains tremblent, les oreilles sifflent. Le champ de vision se rétrécit, l’ouïe parasitée par des battements de coeurs qui explosent dans nos tympans, alors que le palpitant n’est pas plus déchainé qu’à l’accoutumé. Le corps y est juste plus réceptif. Il écoute, il prend en compte. Puis une chape cotonneuse, similaire à la prise de médicaments, s’installe. Brouille les repaires. Anesthésie, sans chloroformer. Endolorît le corps, mais continue de faire marcher la tête. Le lieu se distord, les murs s’écartent, les lignes tanguent. Il ne reste plus qu’un bout de bidoche affalé sur un lit. Un merdeux qui roule sur lui même, qui maugrée, qui gémit. Impossible d’arrêter son cerveau de tourner. Les pensées s’entrechoquent, dérivent, deviennent parasites. Rendent dingue au fur et à mesure. Filent le vertige. Donnent la gerbe. Pour s’endormir une demi-heure avant la sonnerie programmée du réveil. Et se reveiller avec le sourire d’une nouvelle journée, et de la promesse d’une sieste réparatrice.

Comme dit au milieu du top disques de l’année 2008, je n’avais pas du piger le dernier album de Deerhunter, Microcastle, trop sage, et directement mis sur orbite, adoubé avant même sa finalisation. Peut être trop attaché à son prédécesseur, Cryptograms, et cette ambiance effarante, entre renoncement total et révolte désespérée. D’un groupe propulsé comme nouvelle tête pensante de l’indie (bon ok, il y en a un par an) alors qu’il n’en a pas vraiment les codes. Un groupe presque aussi poissard que Gang Gang Dance, entre un bassiste mort à cause d’un accident de skateboard, un chanteur instable rongé par une maladie rare, des membres qui se barrent de la formation sans prévenir et une soudaine exposition qui grille tout le monde.
















L’intro, visqueuse, mélangeant bruits aquatiques, voix fantomatiques et grondements/saturations mystérieux plonge directement dans le bain. C’est sale, éthéré, calme mais malsain. Glauque mais rassurant. Tout joue sur les échos, les effets, l’espace. Mais une phrase claque. “My greatest fear, I fantasized / The days were long, the weeks flew by / Before I knew I was awake / My days were through, it was too late” sont les premiers mots du disques, ouvrant le morceau titre Cryptograms. Les grondements restent présents, la batterie claque come la mort, une guitare claire s’immisce, aérant presque le morceau. Ça pue la mort, la voix de Cox est parasité, étouffée. Mais il chante, il aboie ses lyrics avec une molle conviction. Le truc, c’est qu’à la fin de son couplet, un vortex lui tombe sur la gueule, aspirant le dernier mot, l’étripant, l’étirant, le trainant sur le goudron après l’avoir attaché à l’arrière d’une bagnole. On pourrait parler de cris, mais ce ne sont que des distorsions. Quand le tourbillon sonore s’éloigne, et laisse la normalité reprendre ses droits, c’est pour mieux fondre sur nos trombines trente secondes après, emportant le tout dans un océan de convulsions, superbes, hypnotiques, rêches mais contenues. Un vrai siphon sonore, qui débouche sur une dernière ligne droite épileptique, avec une batterie affolée devenue martiale.

Et c’est le calme, presque total, qui revient. Une plage électro ambiant succède au déluge, lave le sang, panse les plaies. Un simple roulis de guitares noyées dans les réverbérations. Qui avance vers nous. Puis se retire. Puis reviens. Marée sonore, mâtinée de nappes à couper au couteau. Les deux premiers tiers de l’album sont de toute façon construits de la sorte. A chaque déchainement puant le cadavre se succède une fresque dépouillée, electronica étrange où les cordes à l’infini s’embrassent, s’enlacent sans lasser une seconde. Jouant toujours sur ce flux et reflux sonore, sur cette alternance hypnotique qui perle même dans le tracklisting. Providence, c’est une guitare qui tourne, légère et insaisissable dans cette chape de plombs, à peine transpercée par clavier angélique. White Ink, ode aux pédales à effets ? Peut-être.

Lake Somerset, ode à la crise de panique ? Surement. La basse déjà, absolument énorme, imparable, jouissive. Le chant, complètement dérouillé, nécrosé, dégueulasse, inintelligible. La densité du morceau, qui, graduellement fait flipper. Alors, ça crache, ça éructe, ça se plaint. Et le morceau sombre. Dans un gouffre absolu, on se prend une distorsion ultime, qui emporte tout, la voix n’est plus que pantin, balancée de tout les cotés avec violence, sous les coups de butoirs rythmiques, sous la gratte qui craque complètement, shoegaze gangréné, vague à lâme de fond en pleine gueule, magnifique. Le mec vient de foutre le feu à sa piaule en cherchant ses calmants, et continue de hurler en se roulant dans les décombres, les ongles enfoncés dans sa panse. Indescriptible.

Et apres l’interlude de rigueur intervient le monolithe Octet, du haut de ses 8 minutes. Un pied presque Techno se fait entendre, la guitare déverse une mélodie parfaite. La voix hulule au loin. On se croirait dans un Lcd Soundsystem en slow-motion. La basse, encore une fois, qui file des fourmis dans les jambes. Et ça va se déplier, se perde, avancer sans fléchir. Ascension claudiquant, qui se perd dans un brouillard shoegaze se densifiant à chaque mesure. Une voix qui se tord, torturée par les effets. Qui répète les mêmes syllabes ad nauseam, qui se superpose pour former des choeurs. Qui expulse, qui souffre. Mais dans son coin, écraser par trois tonnes de textures sonores neurasthéniques. C’est un mec qui barbouille dans les psychotropes. Qui nage avec la conscience de perdre. Qui se complait dans l’obscurité. Marathon de l’errance, c’est drôlement beau.









Mais à la fin d’un nouveau morceau ambiant, et très synthétique (Red Ink que n’aurait pas renié M83), le disque se fracture. S’ouvre. Trouve la lumière. Apres avoir marché sur des cadavres pendant 30 minutes, Deerhunter foule soudainement les nuages. L’album a été enregistré en deux sections distinctes, et ça s’entend. Sans jurer une seule seconde avec ce qu’il y avait précédemment. Au contraire, le tout s’avance comme suite logique, comme une bouffée d’air salvatrice et inévitable, juste avant le réel étouffement. Spring Hall Convert est le premier titre à laisser perler les lyrics du chanteur, à porter une voix claire et apaisée sur une mélodie lancinante et un rythme moins escarpé. Morceau de dream pop parfait, en suspension totale, en ascension constante, tout en gardant la densité et la force des exercices précédents. Le refrain se fait presque indie fédérateur, si la voix n’était pas noyée, esseulée dans ce trop plein de textures joliment amenées. Que les amateurs de musique putride se rassurent, ça reste écorché, sur le fil, parasité. Les distorsions s’infiltrent, font tanguer un morceau qui part petit à petit dans un cosmos étrange, à dominance verte et orange. La fin repart dans un trip expérimental, sans jamais écorcher le semblant de sourire, de soleil, d’espoir perlant tout au long du morceau.

Même combat pour Strange Lights et Hazel Street, carrément pop shoegaze, avec cette voix un peu nasale, et des mélodies qui se sifflerait presque. Les lyrics illustrent bien l’ouverture du disque, à base de “We walk into the sun” and co, et il n’y a bien que les montées, bizarrement souffreteuses, qui nous rappelleront qu’il y a encore dix minutes, on se complaisait dans un océan de renoncement. Des réminiscences persistent, on sent que le tout est branlant, que les fondations sont rongées, que les sourires ne tiennent que par le saint esprit. C’est naïf mais ça sent le lit d’hôpital. L’après crise de nerf.

L’album se terminera sur un titre superbe, Heatherwood, et son gros rythme techno/tribal, sa petite mélodie guillerette et ses petites lacérations contrôlées. Le groupe semble rayonner, libre, avec un break qui semble accueillir toutes les voix de la formation pour un dernier barou d’honneur, avant la jolie envolée finale. Dernier morceau d’un album en constante progression, et seule piste dénuée de toute saleté, de tout parasite, de toute nécrose et fracas. Les éléments s’entendent tous avec distinction, on pige la totalité de ce que nous susurre Cox, on se prend le pied de batterie en plein bide.











De toute façon, Cryptograms repose presque sur cette dualité, sur cette volte face, ou cette progression vers la lumière, de plus en plus évidente, de plus en plus forte, alors que l’on farfouillait les tréfonds du désespoir à l’orée du voyage. Une vraie fresque, avec un départ et une arrivée. Telle une horde qui aurait pataugé dans la chiasse toute sa vie et ayant pour unique but de trouver l’eden, apercevait enfin ce dernier au loin, trouvant une concrétisation à son errance en ligne droite. L’envie irrépressible d’abandonner se mue petit à petit en espoir, puis en conviction. Pourtant le bonheur de trouver la clarté semble presque factice, tant la noirceur des deux premiers tiers est palpable, tant le bonheur final semble détraqué, précaire, comme si la première partie avait irrémédiablement marqué le moral de chacun. Peut être que le vide absolu se créé dés que la quête s’estompe.


Ce qui est concret par contre, c’est que l’album lui même semble tourner intégralement sur le principe de flux et reflux, sur ces vagues incessantes qui viennent chatouiller nos pieds pour se retirer l’instant d’après. Sur ce va-et-vient perpétuel d’un psychisme irrégulier, au sein du tracklisting (l’alternance de plages ambiant avec les morceaux de déséquilibré), de la pochette ou de l’album et sa structure, avec cette première moitié, ce voile de violence, de noirceur qui nous gicle en pleine face, avant de se retirer vers l’horizon d’une façon plus calme et sereine.

Mais surtout au sein même des morceaux, omniprésents et incessants ressacs de sonorités, (les instrumentaux basés sur des sons “en vague”, la voix de Cox défoncée par des effets cycliques, en onde, voir même de vrais samples de marées se superposant parfaitement aux morceaux) suivant les courbes fluctuante d’un moral gangrené, rongé par l’angoisse.

A l’instar de l’album, après s’être englué dans la merde, il est surement facile de trouver la lumière. Reste encore à savoir quoi en faire.
Nous ? Nous retournons fureter derrière les meubles pour chercher nos cachetons.











Mp3 :


– Deerhunter – Cryptograms (Clic droit / Enregistrer sous)












12 Titres – Kranky
Dat’













  1. cardiattack, visiteur Says:

    Étrange morceau que celui que tu nous proposes en écoute… mais vraiment sympathique, ça m’a bien donné envie. Faudra que je jette un coup d’oreille au reste. Et est-il nécessaire d’ajouter que ta chronique est excellente ?

    Sinon une petite recommandation perso (ça faisait longtemps ^^) : le premier album éponyme de Clubroot, sorti chez Lo Dub Records. C’est une vraie merveille façon Burial, pas forcément très innovante, mais rondement menée et plus qu’efficace, ça tourne en boucle chez moi.

    Et pour finir, profitez bien des soldes : j’ai dégotté “Underwater Dancehall” de Pinch + le dernier Casualty + “Artefacts” de Revo + “Will We Cross The Line” de R-Zatz + “Steppa’s Delight” pour la modique somme de… 29€ l’ensemble, neuf. Merci la **** de Tours qui fait du déstockage de malade !

  2. puppet_master, visiteur Says:

    Merci cardiattack, depuis que j’ai lu ton post, j’ai mis la main sur l’album de Clubroot, cet album est une pure merveille !!! J’arrive plus à décrocher, mention spéciale au morceau “Sempiternal” qui me fait complètement partir….

  3. cardiattack, visiteur Says:

    Héhé, n’est-ce pas ^^ On arrive enfin à l’hybride parfait entre Burial et du “vrai” dubstep (Burial fait plus du UK Garage, 2-step). “Sempiternal” est effectivement très belle, mais mon top 3 penche plutôt vers “Low Pressure Zone” (elle me rappelle beaucoup le thème du jeu Gears Of War), “Embryo” (nappes éthérées et basses splendides), et “Talisman” (clone de Burial, mais c’est si bon ^^).

    En tout cas content que ça te plaise. Et pour ceux qui aiment ce genre de zik, écoutez donc du Late (http://www.myspace.com/llate) et du VVV (http://www.myspace.com/vvvdubz), vous m’en direz des nouvelles. Leurs meilleures pistes ne sont plus dispo mais si vous m’envoyez un mail je me ferai un plaisir de vous les envoyer (ou un p’tit tour sur YouTube, ça peut marcher aussi).

  4. Dat' Says:

    Raaah mais je veux ce disque, mais impossible à trouver en magasin, mais ils ont deja d’autres disques de ce label, donc ils vont sûrement le recevoir. Le problème, c’est que je ne sais pas quand. Ca peut etre demain comme dans 1 mois. Et j’ai pas envie de l’acheter genre sur itunes, ça me fait chier, surtout s’il arrive en mag juste apres. u_u

    J’avais écouté un titre de ce mec il y a quelques temps, “embryon” je crois, ça m’avait scotché. Ca fait pas mal penser à Burial, mais au “Burial 1er album” par contre, la même sécheresse dans le son.

    Sinon bien joué pour les soldes, le Pinch est un classique. Et le Revo démonte.

    Cardia, pour le Deerhunter, ouai le morceau est étrange, mais si ça t’as plu, essaie d’écouter le disque dans son entier ! la progression est énorme…

  5. cardiattack, visiteur Says:

    Je vais chercher le Deerhunter à la ****, on verra bien s’ils l’ont (sans doute noyé entre 40 David Guetta…), car si le reste est aussi bon alors là on tient un petit bijou, c’est sûr !

    En tout cas je t’envoie un mail avec un lien pour le Clubroot, je sais bien que le mp3 et toi c’est pas le grand amour, mais ça t’aidera à patienter ^^

  6. Dat' Says:

    Ahah merci… !

    Sinon, le Deerhunter, il reste assez facile à trouver quand même, ils font parti des “gros groupes” dans le rayons indé.

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