Fog – Fog



I want to sit and stare and stare and stare into space







Fog porte bien son nom. Où tout du moins, portrait bien son nom. Car son premier disque ne ressemblait à pas grand-chose de connu, à sa sortie. Un brouillard, de sons, d’intentions. Et contrairement à pas mal de disques qui se retrouvent avec une étiquette de “défricheur” ou “d’unique”, la musique de Fog est loin d’être alambiquée, ultra perchée et vertigineuse. Comme quoi, on peut innover sans être enseveli par les drogues.

Pourtant, Adrew “Fog” Browder avait rien de spécial, faisant parti de ses milliers d’américains un peu mélancoliques, sans avenir, qui se retrouvent à triturer de la musique dans leur garage, faute de mieux. A ruminer sur le pâté de maison décrépis, sur d’anciennes histoires de coeurs et autres doutes amplifiés par l’ennuis. Mais plutôt que de simplement pousser la chansonnette dans sa chambre, le monsieur va, pour faire une tambouille au départ énigmatique, sans réelle structure, lancinante et mélancolique. Aux grés de ses pérégrinations, il va même rencontrer Dose One, qui va le présenter à Ninja Tune, permettant au label de compter un zozo de plus dans ses rangs.

Fog aurait pu être un super chanteur-compositeurs de pop s’il avait eu les moyens de se payer un quatuor de cordes, quelques vocalists de renoms et un super studio à Liverpool. Manque de pot, le bonhomme ne pourra qu’acheter divers instruments avec son argent de poche, accumulant un bordel visible dans le livret (Qui a aussi le bon goût de recenser les textes parfois énigmatiques de l’album), pour accoucher d’un premier disque utilisant majoritairement une boite à rythme, une gratte et une platine. Un Self titled fait avec trois bouts de ficelles, qui accueille discrètement deux guests de haute tenue, pour les plonger dans un disque qui semble être foutu au micro-onde. Le genre d’album qui donne l’impression d’avoir passé des années dans un rayon de disquaire perdu, au fin fond d’une cave, avec trois centimètres de poussière dessus. On souffle, on souffle, et l’on découvre quelque chose de lumineux.




















L’intro, World of Advice est assez étonnante, ne reflétant pas vraiment ce que contient le disque, tout en se payant le privilège d’inviter MF Doom, ce dernier déclamant un discours sur des bruits bizarres. Point de freestyle enflammé, on lorgne plus dans le trip “Dumile te lit une histoire avant de dormir”. C’est tout. Je crois que c’est le seul disque au monde qui se paie le privilège de ne rien faire du tout avec un feat de Mister Doom. Le morceau est directement imbriqué dans The Smell Of Failure, pièce encore plus hermétique, faite de bruits de vinyles ultra ralentis, similaires au bruit du vent filant hors de notre maison un soir d’hiver, que l’on entendrait bien au chaud dans son lit, avant de dormir. On distingue quelques voix, quelques parasites, mais rien de plus probant. Bref, il y a de quoi flipper un peu à la fin des premiers titres, en se disant que l’on vient de tomber sur un disque completement abscons, faisant fi de la notion de mélodie et de rythme.

Et c’est la que débarque Pneumonia première vraie pièce du disque, et morceau qui embrasse le concept de Fog au mieux, celui qui va se retrouver tout au long de la galette. Ce concept, c’est un semblant de Pop-song dérouillée, avec un chant tout gringalet, qui se retrouve plonger dans une vague de parasite, avec une présence accrue de Scratchs et autres incursions platinesques. Le tout pilonné par un rythme un peu claudicant, un peu décalé, qui semble s’incruster dans le morceau sans se soucier réellement de la cohérence de ce dernier. Enfin, on pourrait prendre le problème dans le sens inverse et dire que Fog, c’est un beat, des couches de bruits et pleins de scratchs parasités par une gratte et un chanteur neurasthénique. Comme si Clouddead se serait mit à la pop, sans délaisser les brumes de leur premier disque.
Reste que ce morceau est un vrai bijoux, un alien distillant une mélodie à pleurer, tout en flirtant avec l’anodin, chapeauté par des paroles résignées, à base de In the bathroom, with the shower running and my clothes on / I figured out that I hate you all. La moitié du morceau avance vers nous en boitant, nous donnant presque envie de le prendre dans nos bras, tant la fragilité du tout semble évidente. Il suffirait de souffler sur la chanson pour qu’elle parte en lambeau, que les ingrédients tombent inanimés, tant l’image du petit gars triturant ses machines dans sa chambre nous saute à la gueule. Mais voila que le tout part en vrille, fonce vers le ciel, avec des scratchs affolés qui accompagnent une rythmique plus lourde, pour un écrin plus joyeux, plus bordélique, comme si le bonhomme décidait finalement de sortir de son gourbi pour courir dans les champs en se marrant comme un gamin. C’est tout simple, mais pourtant super joli, presque touchant, et étonnant de part ce mélange improbable entre scratchs miteux, beats étranges, guitare et chant anémiés.

Fuckedupfuckfuckup (tout un programme) se la jouera abstract hiphop oldschool décharné, avec ces samples de vieux vyniles d’avant guerre dérouillés par des parasites. Mais c’est Check Fraud qui renouera avec la candeur de Fog, laissant une guitare acoustique se faire laminer par des scratchs un peu bourrés et un rythme bien appuyé, gagnant petit à petit en reverb. On croirait entendre un Kid Koala qui aurait délaissé ses samples bizarres pour une ligne mélodique évidente, simpliste et poignante. Les scratchs sont d’ailleurs un peu basés sur le même type de procédé, triturant des samples surpitchés, donnant un aspect vieillot aux mélodies, comme si Mix Master Mike tentait de faire un Dj Set avec un vieux gramophone. Les scratchs de Fog semblent d’ailleurs tout simplistes, fait par un débutant qui n’aurait qu’une platine et un changeur de pitch, et feront bien rigoler les amateurs de haute voltige turnabilistique. Mais ce coté tout raté, tout simple et fait avec les moyens du bord, imprime un charme qui colle parfaitement au disque, donnant un coté lancinant et mélancolique au tout, accompagnant à merveille les petites litanies distillées ici et là.










Un peu plus loin, Glory pétrira le coeur des plus émotifs, avec une belle mélodie constituée de clochettes et de violons, fracassés par des écarts toujours issus de vinyles bien torturés. C’est DoseOne qui va poser sa voix sur le tout, balançant un Spoken word alangui avec son teint reconnaissable entre mille, tentant de se faire entendre sans élever la voix, au milieu de ce bordel passé en Slow Motion. La chanson a un aspect completement artisanal, cette dernière ayant toujours un élément déphasé par rapport aux autres, comme ce violon qui va partir dans les cieux alors que le morceau ne s’emballe pas vraiment, ou ce rythme qui semble être callé en live, à la main, pendant tout le morceau, sans se soucier des millisecondes de décalages qui pourront être décelées par l’auditeur.


Mais Fog sait aussi lâcher un peut les chevaux, et partir sur des contrées un peu plus secouées, comme avec l’immense Ghoul Expert, qui s’ouvre sur une guitare à pleurer, et une pulsation sombre et prenante, faisant passer le vinyle trituré pour des battements de coeur. Des scratchs plus incisifs se font entendre, mais le morceau avance tranquillement, la tête baissée, comme empli de regrets et de chagrin. Folkin’ & Scratchin’. La voix de Broder est plaintive, presque en symbiose avec les multiples vrombissements du morceau, on croirait presque entendre un titre de Radiohead remixé par Odd Nosdam. Et vlan, voila que de cordes cristallines permettent d’embrayer sur une envolée à crever, entre gratte, triturages de vinyles, bruits bizarres et pleins de choeurs fantomatiques, de plus en plus secoués par une guitare électrique.

Dans le même genre façon je-vais-rompre-ta-colonne-vetebrale-d’un-coup-sec, Fool remplit parfaitement son office. La première moitié du morceau, énigmatique, laisse courir scratchs et mélodie façon boite à musique dans une grotte qui débouche sur le centre de la terre. On dodeline de la tête, on se laisse happer par cette atmosphère sombre, hypnotique, on ferme les yeux. Gouffre, un beat pachydermique déboule, défonce le morceau, le catapulte sur une gratte rageuse. Les vinyles s’enflamment, les chétifs grognements se transforment en brûlante armada, ça crisse, ça vrille, ça crache. Encore une fois, le titre ne repose sur rien, ou presque, mais la claque est violente.

Hitting The Wall pourra lui se prévaloir d’être le morceau le plus déstructuré du disque, jouant constamment sur les ruptures et changements de ton. La ligne de basse est bien poisseuse, le rythme imparable et le chant façon mégaphone, le tout zébré de scratchs hors contrôles, qui fusent un peu partout, comme si ces derniers tentaient de s’échapper du disque, en passant par vos oreilles. Le morceau se stoppe, reprend de plus belle, s’éteint de nouveau, laisse perler quelques samples d’avant guerre, avant de partir dans une dernière bronca. Tout le contraire de la conclusion And Stay Out, dont le joli début de chanson en duo piano-voix va petit à petit se faire bouffer par des saturations cradingues, finissant dans l’abstraction la plus totale.












Difficile de ranger le disque dans une case, ou de lui apposer une définition stricte. Les magasins ont du pas mal se gratter la tête en recevant ce Fog, même si le label Ninja Tune pouvait faciliter les choses. Sans trop risquer de se tromper, on pourrait évidemment évoquer Clouddead et Kid Koala (dépressif) pour le coté électronique brumeux et les scratchs à tout va. Mais il y aussi ce coté Pop folk sans argent, genre Panda Bear coulé sous 6 mètres de béton, en lambeau à cause des radiations, qui imprègne la majorité du disque. D’ailleurs, depuis quelques années, Fog est sorti du brouillard, devenu groupe, et tape dans le Rock pop indé qui part dans tous les sens, tout en étant signé sur Lex Record, autre bastion du Hiphop dérouillé. Le son est plus propre, plus ouvert. Il peut se payer des guitares à doubles manches, des choeurs gospel et des solos de xylophones hydrauliques.


Ce premier disque de Fog garde lui ce coté cradingue, ce coté amateur, ce coté touchant car fragile, poignant car cramé. Car tout semble cramé dans cette galette. La guitare, anorexique, est foireuse. Le chant, à peine plus soutenu que celui d’un oisillon passant sous une roue de vélo, est foireux. Les beats, décalés et boiteux, sont foireux. Les scratchs, simplistes et hasardeux, semblent foireux. La donnée intéressante, c’est que beaucoup de sons semblent être dirigés par un coté aléatoire. Les métronomes basés sur des scratchs ne sont au final jamais vraiment les mêmes (comment reproduire parfaitement la même sonorité deux fois, sans la sampler?), et s’enrichissent d’une facette toujours en mouvement, menacée par les bugs, par le faux mouvement, par la glissade qui foutra tout par terre.
On a l’impression d’écouter un numéro d’équilibriste branleur, un mec qui semble assuré dans sa composition de petites litanies touchante, caressant ses vinyles en tirant sur sa clope, l’oeil torve, alors qu’un simple mouvement de la main trop appuyé pourrait tout foutre par terre. Le pire, c’est qu’avec tout ça, Fog arrive à pondre des morceaux qui filent la frousse, crachant sans ménagement leur beauté cristalline, ensevelie derrière ces lourds manteaux de parasites.

Un album tout cabossé, qui s’écroule si l’on tire les éléments les uns après les autres, est magique lorsque tout se retrouve en symbiose. Il ne faut surtout pas aborder ce disque avec une oreille de technicien tatillon, mais bien avec la volonté de rêver, de s’abandonner dans ses comptines flinguée et abstraites.




Ce Fog, c’est un peu une déclaration d’amour aux Home Studios, aux bidouillages anodins dans une chambre miteuse, alors que les parents ronflent à moitié devant Tout le monde en parle, à l’étage en dessous, un samedi soir.
A ceux qui se font chier toute la semaine, et qui finiront cette dernière prostrés devant leur MPC, à chercher des samples sur des vieux disques pourris trouvés dans la cave de pépé. Aux chanteurs torturés qui ne peuvent vivre une journée sans claquer quelques accords sur une guitare loqueteuse en susurrant des mélodies tristes, tout en rêvant de pouvoir, un jour, dresser les cheveux de cent personnes en faisant un concert. A ceux qui ne peuvent s’empêcher de faire un petit bruit de scratch ou de beatbox avec leur bouche en écoutant à la radio un titre assommant, en se disant que cela pourrait être cool de remixer ce dernier, pour tout oublier la seconde d’après. Aux musiciens qui compensent leurs petits moyens par une débrouillardise, une densité et une saleté sonore effarante, sans jamais sacrifier l’émotion qui perle du marasme.

En gardant, envers et contre tout, la volonté de ne rien faire comme les autres.

Une petite perle comme on en fait peu…













Fog – Pneumonia









13 Titres – Ninja Tune
Dat’










  1. Maximus1er Says:

    Ta chronique m’a bien fait saliver, je sens que la semaine prochaine (vacances \o/ ), je vais avoir 2-3 trucs à écouter (le bomb the bass aussi a l’air cool aussi, et le gang gang que j’ai à peine écouté encore, tant je veux l’ecouter dans un moment parfait :nerd: )

  2. rumi, visiteur Says:

    Ah , je ne connaissais pas , ça me plaît bien .

    :book:

  3. wony, visiteur Says:

    La fin de ta chronique est vraiment chouette.

    Fog c est bien ! Et d’ailleurs les derniers disques, meme si je ne l ai pas entendu en entier, sont bons aussi.

  4. Aeneman Says:

    Me disais bien que je connaissais Fog…

    Vu que j’avais acheté ce disque:

    http://blogs.twincities.com/ross/upload/2007/12/the_year_in_review/fog.jpg

    Et bien ce nouveau là me plaît pas mal aussi…plus doux que ce Ditherer…thx Dat’ pour le rappel 🙂
    A plus mon cher!

  5. Dat' Says:

    Max1er ==}Ouai le Bomb The Bass est vraiment un tres tres bon disque, si l’on accroche au genre.

    Aeneman ==} Ce premier Fog est tres different de Ditherer, (bon en même temps, il est sorti 6 ans avant) qui est bien cool aussi. Mais je trouve que le premier Fog est le meilleur disque du mec, completement atypique et enfumé. Plus beau aussi, malgré le son bien crado…

    Rumi ==} ah ben hesites pas à poster ton avis si tu arrives à tomber dessus…
    En plus je pense qu’il est assez facilement trouvable d’occaz à pas cher, vu qu’il a quelques années

    Wony ==} merci !

  6. a3, visiteur Says:

    Jolie chronique qui m’a permis de me pancher sur un artiste que j’avais visiblement un peu négligé! Je mettais arrêter à Ditherer, qui m’avais pas emballé, mais là c’est tout de suite autre chose, Pneumonia est vraiment superbe… Ca me fait penser tout de suite aux premières expérimentations de Why?, la même sensation “d’artisanat” contrôlé qui aboutit à de vrais bijoux… Ce n’est pas pour rien que les deux compères se sont retrouvés sur le sublime “Hymie’s Basement”, et que Fog a désormais rejoint Why? sur le dernier “Alopecia”, qui est tout simplement pour moi l’album de l’année.

  7. Dat' Says:

    Yep c’est a mettre en parallele avec le premier disque de Why? tu as trouvé la bonne expression pour le coup de l’artisanat.

    Effectivement, il est drolement different de Ditherer. Et yep “Hymie’s Base” est excellent. Par contre tu m’apprends un truc, j’etais pas au courant que fog avait rejoint le groupe de Why? !

    Hesite pas à poser ton avis si tu poses une oreille sur ce Fog !

  8. a3, visiteur Says:

    Si si, les 2 membres qui formaient à la fin Fog, Andrew Broder et Mark Erickson, ont rejoint Yoni Wolf, Josiah Wolf et Doug McDiarmid pour l’entité Why? sur le dernier Alopecia, et ont participer également à la tournée. Tournée dont j’ai eu la chance de pouvoir assister à une de leur représentation, et bien ce fut un grand grand moment de musique!^^
    Sinon concernant le Fog en question, et bien j’ai vraiment beaucoup aimé. Cette certaine fragilité enivrante qui te prend tout au long de chaque chanson, c’est assez puissant, comme sur Ghoul Expert et Glory. Et que dire des deux bijoux que sont Pneumonia et Check Fraud! Merci pour ta chronique, une nouvelle fois!

  9. Flysmoke Says:

    Très bel extrait. Il m’en faut plus.

  10. Draught.fr, visiteur Says:

    Je crois que c'est la première fois que je tombe sur quelqu'un qui connaît Fog. Ce disque, j'adore… Il m'arrive encore de l'écouter des années et des années après sa sortie. Jolie chronique.

  11. Dat' Says:

    Perso, c'est d'ailleurs le seul Fog que je continue d'écouter, en plus de son split avec Why?

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